Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/52

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— Rassurez-vous, sire.

— J’écoute.

— Sire, il y a une chose qui blesse particulièrement la vue de mon frère et surtout la mienne, ce sont les robes rouges et les robes noires ; que Votre Majesté soit donc assez bonne pour nous permettre de nous retirer.

— Comment, vous vous intéressez si peu à mes affaires, monsieur de Joyeuse, que vous demandez à vous retirer dans un pareil moment ! s’écria Henri.

— N’en croyez rien, sire, tout ce qui touche Votre Majesté est d’un profond intérêt pour moi ; mais je suis d’une misérable organisation, et la femme la plus faible est, sur ce point, plus forte que moi. Je ne puis voir une exécution que je n’en sois malade huit jours. Or, comme il n’y a plus guère que moi qui rie à la cour depuis que mon frère, je ne sais pas pourquoi, ne rit plus, jugez ce que va devenir ce pauvre Louvre, déjà si triste, si je m’avise, moi, de le rendre plus triste encore. Ainsi, par grâce, sire…

— Tu veux me quitter, Anne ? dit Henri avec un accent d’indéfinissable tristesse.

— Peste, sire ! vous êtes exigeant : une exécution en Grève, c’est la vengeance et le spectacle à la fois, et quel spectacle ! celui dont, tout au contraire de moi, vous êtes le plus curieux ; la vengeance et le spectacle ne vous suffisent pas, et il faut encore que vous jouissiez en même temps de la faiblesse de vos amis.

— Reste, Joyeuse, reste ; tu verras que c’est intéressant.

— Je n’en doute pas ; je crains même, comme je l’ai dit à Votre Majesté, que l’intérêt ne soit porté à un point où je ne puisse plus le soutenir ; ainsi vous permettez, n’est-ce pas, sire ?

Et Joyeuse fit un mouvement vers la porte.

— Allons, dit Henri III en soupirant, fais donc à ta fantaisie ; ma destinée est de vivre seul.

Et le roi se retourna, le front plissé, vers sa mère, crai-