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vit les chevaux, fendant la foule, laisser derrière eux un tumultueux sillage qui, pareil à celui de la mer, se referma sur eux.

Ce sillage était produit par les spectateurs que refoulait ou renversait le passage rapide des chevaux ; mais le mur démoli se refermait aussitôt, et parfois les premiers devenaient les derniers, et réciproquement, car les forts se lançaient dans l’espace vide.

On put alors voir au coin de la rue de la Tannerie, lorsque les chevaux y passèrent, un beau jeune homme de notre connaissance sauter au bas de la borne sur laquelle il était monté, poussé par un enfant qui paraissait quinze à seize ans à peine, et qui semblait fort ardent à ce terrible spectacle.

C’était le page mystérieux et le vicomte Ernauton de Carmainges.

— Eh ! vite, vite, glissa le page à l’oreille de son compagnon, jetez-vous dans la trouée, il n’y a pas un instant à perdre.

— Mais nous serons étouffés, répondit Ernauton, vous êtes fou, mon petit ami !

— Je veux voir, voir de près, dit le page d’un ton si impérieux, qu’il était facile de voir que cet ordre partait d’une bouche qui avait l’habitude du commandement.

Ernauton obéit.

— Serrez les chevaux, serrez les chevaux, dit le page ; ne les quittez pas d’une semelle, ou nous n’arriverons pas

— Mais avant que nous n’arrivions, vous serez mis en morceaux.

— Ne vous inquiétez pas de moi. En avant ! en avant !

— Les chevaux vont ruer !

— Empoignez la queue du dernier : jamais un cheval ne rue quand on le tient de la sorte.

Ernauton subissait malgré lui l’influence étrange de cet enfant ; il obéit, s’accrocha aux crins du cheval, tandis que de son côté le page s’attachait à sa ceinture.