Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/12

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développé par Lachapelle-Marteau devant M. de Mayenne.

Au plus fort de ses réflexions, et au milieu de la rue de la Pierre-au-Réal, espèce de boyau large de quatre pieds, qui conduisait rue Neuve-Saint-Méry, Nicolas Poulain vit accourir, en sens opposé à celui dans lequel il marchait, une robe de jacobin retroussée jusqu’aux genoux.

Il fallait se ranger, car deux chrétiens ne pouvaient passer de front dans cette rue.

Nicolas Poulain espérait que l’humilité monacale lui céderait le haut pavé, à lui, homme d’épée ; mais il n’en fut rien : le moine courait comme un cerf au lancer ; il courait si fort qu’il eût renversé une muraille, et Nicolas Poulain, tout en maugréant, se rangea pour n’être point renversé.

Mais alors commença pour eux, dans cette gaîne bordée de maisons, l’évolution agaçante qui a lieu entre deux hommes indécis qui voudraient passer tous deux, qui tiennent à ne pas s’embrasser, et qui se trouvent toujours ramenés dans les bras l’un de l’autre.

Poulain jura, le moine sacra, et l’homme de robe, moins patient que l’homme d’épée, le saisit par le milieu du corps pour le coller contre la muraille.

Dans ce conflit, et comme ils étaient sur le point de se gourmer, ils se reconnurent.

— Frère Borromée ! dit Poulain.

— Maître Nicolas Poulain ! s’écria le moine.

— Comment vous portez-vous ? reprit Poulain avec cette admirable bonhomie et cette inaltérable mansuétude du bourgeois parisien.

— Très-mal, répondit le moine, beaucoup plus difficile à calmer que le laïque, car vous m’avez mis en retard et j’étais fort pressé.

— Diable d’homme que vous êtes ! répliqua Poulain ; toujours belliqueux comme un Romain ! Mais où diable courez-vous à cette heure avec tant de hâte ? est-ce que le prieuré brûle ?