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rée, les yeux bleus, le col court et les épaules larges ; il froissait entre ses grosses mains son bonnet de laine humide, et lorsqu’il fut près des officiers, on vit qu’il laissait sur les dalles une large trace d’eau.

C’est que ses vêtements grossiers étaient littéralement trempés et dégouttants.

— Oh ! oh ! voilà un brave qui est revenu à la nage, dit l’inconnu en regardant le marin avec cette habitude de l’autorité qui impose soudain au soldat et au serviteur, parce qu’elle implique à la fois le commandement et la caresse.

— Oui, Monseigneur, oui, dit le marin avec empressement, et l’Escaut est large et rapide aussi, Monseigneur.

— Parle, Goes, parle, continua l’inconnu, sachant bien le prix de la faveur qu’il faisait à un simple matelot en l’appelant par son nom.

Aussi, à partir de ce moment, l’inconnu parut exister seul pour Goes, et s’adressant à lui, quoique, envoyé par un autre, c’était peut-être à cet autre qu’il eût dû rendre compte de sa mission :

— Monseigneur, dit-il, je suis parti dans ma plus petite barque ; j’ai passé avec le mot d’ordre au milieu du barrage que nous avons fait sur l’Escaut avec nos bâtiments, et j’ai poussé jusqu’à ces damnés Français. Ah ! pardon, Monseigneur.

Goes s’arrêta.

— Va, va, dit l’inconnu en souriant, je ne suis Français qu’à moitié, et, par conséquent, je ne serai qu’à moitié damné.

— Ainsi donc, Monseigneur, puisque Monseigneur veut bien me pardonner…

L’inconnu fit un signe de tête. Goes continua.

— Tandis que je ramais dans la nuit avec mes avirons enveloppés de linge, j’ai entendu une voix qui criait :

« Holà de la barque, que voulez-vous ? »