Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/16

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en traites sur vous-mêmes, j’espère que vous les trouverez bonnes.

— Monseigneur, dit le bourgmestre, après un instant de délibération avec les quarteniers, les dizainiers et les centeniers, nous sommes des commerçants et non des seigneurs, il faut donc nous pardonner certaines hésitations ; car notre âme, voyez-vous, n’est point en notre corps, mais en nos comptoirs. Cependant, il est certaines circonstances où, pour le bien général, nous savons faire des sacrifices. Disposez donc de nos barrages comme vous l’entendrez.

— Ma foi, Monseigneur, dit le Taciturne, c’est affaire à vous. Il m’eût fallu six mois à moi pour obtenir ce que vous venez d’enlever en dix minutes.

— Je dispose donc de votre barrage, Messieurs ; mais voici de quelle façon j’en dispose : Les Français, la galère amirale en tête, vont essayer de forcer le passage. Je double les chaînes du barrage, en leur laissant assez de longueur pour que la flotte se trouve engagée au milieu de vos barques et de vos vaisseaux. Alors, de vos barques et de vos vaisseaux, les vingt braves que j’y ai laissés jettent des grappins, et, les grappins jetés, ils fuyent dans une barque après avoir mis le feu à votre barrage chargé de matières inflammables.

— Et vous l’entendez, s’écria le Taciturne, la flotte française brûle tout entière.

— Oui, tout entière, dit l’inconnu ; alors, plus de retraite par mer, plus de retraite à travers les polders, car vous lâchez les écluses de Matines, de Derchem, de Lier, de Duffel et d’Anvers. Repoussés d’abord par vous, poursuivis par vos digues rompues, enveloppés de tous les côtés par cette marée inattendue et toujours montante, par cette mer qui n’aura qu’un flux et pas de reflux, les Français seront tous noyés, abîmés, anéantis.

Les officiers poussèrent un cri de joie.