Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/160

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Le roi, lui aussi, avait senti son cœur se fondre à l’audition de cette douloureuse requête.

— Ah ! je comprends, ami, dit-il ; tu veux entrer en religion, mais tu te sens homme encore, et tu crains les épreuves.

— Je ne crains pas pour les austérités, sire, mais pour le temps qu’elles laissent à l’indécision ; non, non, ce n’est point pour adoucir les épreuves qui me seront imposées, car j’espère ne rien retirer à mon corps des souffrances physiques, à mon esprit des privations morales ; c’est pour enlever à l’un ou à l’autre tout prétexte de revenir au passé ; c’est pour faire, en un mot, jaillir de la terre cette grille qui doit me séparer à jamais du monde, et qui, d’après les règles ecclésiastiques, d’ordinaire pousse lentement comme une haie d’épines.

— Pauvre garçon, dit le roi, qui avait suivi le discours de du Bouchage en scandant pour ainsi dire chacune de ses paroles, pauvre garçon ! je crois qu’il fera un bon prédicateur, n’est-ce pas, Chicot ?

Chicot ne répondit rien. Du Bouchage continua :

— Vous comprenez, sire, que c’est dans ma famille même que s’établira la lutte ; que c’est dans mes proches que je trouverai la plus rude opposition : mon frère le cardinal, si bon en même temps qu’il est si mondain, cherchera mille raisons de me faire changer d’avis, et s’il ne réussit point à me persuader, comme j’en suis sûr, il s’attaquera aux impossibilités matérielles, et m’alléguera Rome, qui met des délais entre chaque degré des ordres. Là, Votre Majesté est toute-puissante, là je reconnaîtrai la force du bras que Votre Majesté veut bien étendre sur ma tête. Vous m’avez demandé ce que je désirais, sire, vous m’avez promis de satisfaire à mon désir ; mon désir, vous le voyez, est tout en Dieu ; obtenez de Rome que je sois dispensé du noviciat.

Le roi, de rêveur qu’il était, se releva souriant, et prenant la main du comte :