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saisissant une hache aux mains d’un matelot, il s’élança le premier sur celui des bâtiments qu’il retenait d’une plus sûre étreinte, en criant :

— À l’abordage ! à l’abordage !

Tout son équipage le suivit, officiers et matelots, en poussant le même cri que lui ; mais aucun cri ne répondit au sien, aucune force ne s’opposa à son agression.

Seulement on vit trois barques, chargées d’hommes, glissant silencieusement sur le fleuve, comme trois oiseaux de mer attardés.

Ces barques fuyaient à force de rames, les oiseaux s’éloignaient à tire-d’aile.

Les assaillants restaient immobiles sur ces bâtiments qu’ils venaient de conquérir sans lutte.

Il en était de même sur toute la ligne.

Tout à coup Joyeuse entendit sous ses pieds un grondement sourd, et une odeur de soufre se répandit dans l’air.

Un éclair traversa son esprit ; il courut à une écoutille qu’il souleva : les entrailles du bâtiment brûlaient.

À l’instant même, le cri : « Aux vaisseaux ! aux vaisseaux ! » retentit sur toute la ligne.

Chacun remonta plus précipitamment qu’il n’était descendu ; Joyeuse, descendu le premier, remonta le dernier.

Au moment où il atteignait la muraille de sa galère, la flamme faisait éclater le pont du bâtiment qu’il quittait.

Alors, comme de vingt volcans, s’élancèrent des flammes ; chaque barque, chaque sloop, chaque bâtiment était un cratère ; la flotte française, d’un port plus considérable semblait dominer un abîme de feu.

L’ordre avait été donné de trancher les cordages, de rompre les chaînes, de briser les grappins ; les matelots s’étaient élancés dans les agrès avec la rapidité d’hommes convaincus que de cette rapidité dépendait leur salut.

Mais l’œuvre était immense ; peut-être se fût-on détaché des grappins jetés par les ennemis sur la flotte française ;