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Remy se mit à table près de sa maîtresse.

Alors celle-ci emplit à moitié un verre à anse de cette bière dont elle se mouilla les lèvres, rompit un morceau de pain dont elle mangea quelques miettes, puis se renversa sur sa chaise en repoussant le verre et le pain.

— Comment ! vous ne mangez plus, mon gentilhomme ? demanda la servante.

— Non, j’ai fini, merci.

La servante, alors, se mit à regarder Remy, qui ramassait le pain rompu par sa maîtresse, le mangeait lentement et buvait un verre de bière.

— Et la viande, dit-elle, vous ne mangez pas de viande, Monsieur ?

— Non, mon enfant, merci.

— Vous ne la trouvez donc pas bonne ?

— Je suis sûre qu’elle est excellente, mais je n’ai pas faim.

La servante joignit les mains pour exprimer l’étonnement où la plongeait cette étrange sobriété : ce n’était pas ainsi qu’avaient l’habitude d’en user ses compatriotes voyageurs.

Remy, comprenant qu’il y avait un peu de dépit dans le geste invocateur de la servante, jeta une pièce d’argent sur la table.

— Oh ! dit la servante, pour ce qu’il faut vous rendre, mon Dieu ! vous pouvez bien garder votre pièce : six deniers de dépense à deux !

— Gardez la pièce tout entière, ma bonne, dit la voyageuse, mon frère et moi nous sommes sobres, c’est vrai, mais nous ne voulons pas diminuer votre gain.

La servante devint rouge de joie, et cependant en même temps des larmes de compassion mouillaient ses yeux, tant ces paroles avaient été prononcées douloureusement.

— Dites-moi, mon enfant, demanda Remy, existe-t-il une route de traverse d’ici à Malines ?