Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/74

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la mort sur son tombeau, et se relevant de sa couche funèbre, déjà épurée et prête pour le ciel.

La jeune femme, sortie de cette léthargie, promena autour d’elle un regard si doux, si suave, et chargé d’une si angélique bonté, que Henri, crédule comme tous les amants, se figura la voir s’attendrir à ses peines et céder enfin à un sentiment sinon de bienveillance, du moins de reconnaissance et de pitié.

Tandis que les gendarmes, après leur frugal repas, dormaient çà et là dans les décombres ; tandis que Remy lui-même cédait au sommeil et laissait sa tête s’appuyer sur la traverse d’une barrière à laquelle son banc était appuyé, Henri vint se placer près de la jeune femme, et d’une voix si basse et si douce qu’elle semblait un murmure de la brise :

— Madame, dit-il, vous vivez !… Oh ! laissez-moi vous dire toute la joie qui déborde de mon cœur, lorsque je vous regarde ici en sûreté, après vous avoir vue là-bas sur le seuil du tombeau.

— C’est vrai. Monsieur, répondit la dame, je vis par vous, et, ajouta-t-elle avec un triste sourire, je voudrais pouvoir vous dire que je suis reconnaissante.

— Enfin, Madame, reprit Henri avec un effort sublime d’amour et d’abnégation, quand je n’aurais réussi qu’à vous sauver pour vous rendre à ceux que vous aimez !

— Que dites-vous ? demanda la dame.

— À ceux que vous alliez rejoindre à travers tant de périls, ajouta Henri.

— Monsieur, ceux que j’aimais sont morts, ceux que j’allais rejoindre le sont aussi.

— Oh ! Madame, murmura le jeune homme en se laissant glisser sur ses deux genoux, jetez les yeux sur moi, sur moi qui ai tant souffert, sur moi qui vous ai tant aimée. Oh ! ne vous détournez pas ; vous êtes jeune, vous êtes belle comme un ange des cieux. Lisez bien dans mon cœur que