Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Richelieu, dont l’éternelle préoccupation fut l’abaissement de la maison d’Autriche, de déclarer la guerre à la France et d’imposer comme condition de la paix le renvoi du cardinal : mais d’amour, il n’y en avait pas un seul mot dans toute cette lettre.

Le roi, tout joyeux, s’informa si le cardinal était encore au Louvre. On lui dit que Son Éminence attendait, dans le cabinet de travail, les ordres de Sa Majesté.

Le roi se rendit aussitôt près de lui.

— Tenez, duc, lui dit-il, vous aviez raison, et c’est moi qui avais tort ; toute l’intrigue est politique, et il n’était aucunement question d’amour dans cette lettre, que voici. En échange il y est fort question de vous.

Le cardinal prit la lettre et la lut avec la plus grande attention, puis, lorsqu’il fut arrivé au bout, il la relut une seconde fois.

— Eh bien ! Votre Majesté, dit-il, vous voyez jusqu’où vont mes ennemis : on vous menace de deux guerres si vous ne me renvoyez pas. À votre place, en vérité, sire, je céderais à de si puissantes instances, et ce serait de mon côté avec un véritable bonheur que je me retirerais des affaires.

— Que dites-vous là, duc ?

— Je dis, sire, que ma santé se perd dans ces luttes excessives et dans ces travaux éternels. Je dis que, selon toute probabilité, je ne pourrai pas soutenir les fatigues du siége de La Rochelle, et que mieux vaut que vous nommiez là, ou M. de Condé, ou M. de Bassompierre, ou enfin quelque vaillant homme dont c’est l’état de mener la guerre, et non pas moi qui suis homme d’Église et qu’on détourne sans cesse de ma vocation, pour m’appliquer à des choses auxquelles je n’ai aucune aptitude. Vous en serez plus heureux à l’intérieur, sire, et je ne doute pas que vous n’en soyez plus grand à l’étranger.

— M. le duc, dit le roi, je comprends, soyez tranquille ; tous ceux qui sont nommés dans cette lettre seront punis comme ils le méritent, et la reine elle-même.

— Que dites-vous là, sire ! Dieu me garde que, pour moi, la reine éprouve la moindre contrariété ; elle m’a toujours cru son ennemi, sire, quoique Votre Majesté puisse attester que j’ai toujours pris chaudement son parti, même contre vous. Oh ! si elle trahissait Votre Majesté à l’endroit de son honneur, ce serait autre chose, et je serais le premier à dire : Pas de grâce, sire, pas de grâce pour la coupable ! Heureusement il n’en est rien, et Votre Majesté vient d’en acquérir une nouvelle preuve.

— C’est vrai, M. le cardinal, dit le roi, et vous aviez raison, comme toujours ; mais la reine n’en mérite pas moins toute ma colère.

— C’est vous, sire, qui avez encouru la sienne, et véritablement, quand elle bouderait sérieusement Votre Majesté, je le comprendrais ; Votre Majesté l’a traitée avec une sévérité…

— C’est ainsi que je traiterai toujours mes ennemis et les vôtres, duc, si haut placés qu’ils soient et quelque péril que je coure à agir sévèrement avec eux.

— La reine est mon ennemie, mais n’est pas la vôtre, sire ; au contraire, elle est épouse dévouée, soumise et irréprochable ; laissez-moi donc, sire, intercéder pour elle près de Votre Majesté.

— Qu’elle s’humilie alors, et qu’elle revienne à moi la première.