Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand on ouvrit la fenêtre, on vit le pauvre garçon sans connaissance ; il avait la tête fendue d’un coup de manche à fourche.

Planchet descendit dans la cour et voulut seller les chevaux ; les chevaux étaient fourbus. Celui de Mousqueton seul, qui avait voyagé sans maître pendant cinq ou six heures, la veille, aurait pu continuer la route, mais, par une erreur inconcevable, le chirurgien vétérinaire qu’on avait envoyé chercher, à ce qu’il paraît, pour saigner le cheval de l’hôte, avait saigné celui de Mousqueton.

Cela commençait à devenir inquiétant : tous ces accidents successifs étaient peut-être le résultat du hasard, mais ils pouvaient tout aussi bien être le fruit d’un complot. Athos et d’Artagnan sortirent, tandis que Planchet allait s’informer s’il n’y avait pas trois chevaux à vendre dans les environs. À la porte étaient deux chevaux tout équipés, frais et vigoureux. Cela faisait bien l’affaire. Il demanda où étaient les maîtres ; on lui dit que les maîtres avaient passé la nuit dans l’auberge et réglaient leur compte à cette heure avec l’hôtelier.

Athos descendit pour payer la dépense, tandis que d’Artagnan et Planchet se tenaient sur la porte de la rue ; l’hôtelier était dans une chambre basse et reculée, on pria Athos d’y passer.

Athos entra sans défiance et tira deux pistoles pour payer : l’hôte était seul et assis devant son bureau, dont un des tiroirs était entrouvert. Il prit l’argent que lui présenta Athos, le tourna et le retourna dans ses mains, et tout à coup, s’écriant que la pièce était fausse, il déclara qu’il allait le faire arrêter, lui et son compagnon comme faux-monnayeurs.

— Drôle ! dit Athos en marchant sur lui, je vais te couper les oreilles !

Mais l’hôte se baissa, prit deux pistolets dans les deux tiroirs et les dirigea sur Athos, appelant au secours.

Au même moment, quatre hommes armés jusqu’aux dents entrèrent par les portes latérales et se jetèrent sur Athos.

— Je suis pris, cria Athos de toutes les forces de ses poumons ; au large, d’Artagnan ! pique, pique ! Et il lâcha deux coups de pistolet.

D’Artagnan et Planchet ne se le firent pas répéter à deux fois, ils détachèrent les deux chevaux qui attendaient à la porte, sautèrent dessus, leur enfoncèrent leurs éperons dans le ventre et partirent au triple galop.

— Sais-tu ce qu’est devenu Athos ? demanda d’Artagnan à Planchet en courant.

— Ah ! monsieur, dit Planchet, j’en ai vu tomber deux à ses deux coups, et il m’a semblé, à travers la porte vitrée, qu’il ferraillait avec les autres.

— Brave Athos, murmura d’Artagnan. Et quand on pense qu’il faut l’abandonner ! Au reste, autant nous attend peut-être à deux pas d’ici. En avant ! Planchet, en avant ! tu es un brave homme.

— Je vous l’ai dit, monsieur, répondit Planchet, les Picards, ça se reconnaît à l’user ; d’ailleurs, je suis ici dans mon pays, ça m’excite.

Et tous deux, piquant de plus belle, arrivèrent à Saint-Omer d’une seule traite. À Saint-Omer, ils firent souffler les chevaux la bride passée à leurs bras, de peur d’accident, et mangèrent un morceau sur le pouce tout debout dans la rue, après quoi ils repartirent.

À cent pas des portes de Calais, le cheval de d’Artagnan s’abattit, et il n’y eut pas moyen de le faire se relever : le sang lui sortait par le nez et par les yeux, res-