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l’hôtel des Gardes. D’Artagnan, pour qu’il n’y eût pas de temps perdu, avait déjà sellé son cheval lui-même.

— C’est bien, dit-il à Planchet, lorsque celui-ci eut joint le portemanteau à l’équipement ; maintenant selle les trois autres, et partons.

— Croyez-vous que nous irons plus vite avec chacun deux chevaux ? demanda Planchet avec son air narquois.

— Non, monsieur le mauvais plaisant, répondit d’Artagnan, mais avec nos quatre chevaux nous pourrons ramener nos trois amis, si toutefois nous les retrouvons vivants.

— Ce qui serait une grande chance, répondit Planchet, mais enfin il ne faut pas désespérer de la miséricorde de Dieu.

— Amen, dit d’Artagnan en enfourchant son cheval.

Et tous deux sortirent de l’hôtel des Gardes, s’éloignèrent chacun par un bout de la rue, l’un devant quitter Paris par la barrière de la Villette et l’autre par la barrière de Montmartre, pour se rejoindre au-delà de Saint-Denis, manœuvre stratégique qui, ayant été exécutée avec une égale ponctualité, fut couronnée des plus heureux résultats. D’Artagnan et Planchet entrèrent ensemble à Pierrefitte.

Planchet était plus courageux, il faut le dire, le jour que la nuit.

Cependant sa prudence naturelle ne l’abandonnait pas un seul instant ; il n’avait oublié aucun des incidents du premier voyage, et il tenait pour ennemis tous ceux qu’il rencontrait sur la route. Il en résultait qu’il avait sans cesse le chapeau à la main, ce qui lui valait de sévères mercuriales de la part de d’Artagnan, qui craignait que, grâce à cet excès de politesse, on ne le prît pour le valet d’un homme de peu.

Cependant, soit qu’effectivement les passants fussent touchés de l’urbanité de Planchet, soit que cette fois personne ne fût aposté sur la route du jeune homme, nos deux voyageurs arrivèrent à Chantilly sans accident aucun et descendirent à l’hôtel du Grand-Saint-Martin, le même dans lequel ils s’étaient arrêtés lors de leur premier voyage.

L’hôte, en voyant un jeune homme suivi d’un laquais et de deux chevaux de main, s’avança respectueusement sur le seuil de la porte. Or, comme il avait déjà fait onze lieues, d’Artagnan jugea à propos de s’arrêter, que Porthos fût ou ne fût pas dans l’hôtel. Puis peut-être n’était-il pas prudent de s’informer du premier coup de ce qu’était devenu le mousquetaire. Il résulta de ces réflexions que d’Artagnan, sans demander aucune nouvelle de qui que ce fût, descendit, recommanda les chevaux à son laquais, entra dans une petite chambre destinée à recevoir ceux qui désiraient être seuls et demanda à son hôte une bouteille de son meilleur vin et un déjeuner aussi bon que possible, demande qui corrobora encore la bonne opinion que l’aubergiste avait prise de son voyageur à la première vue.

Aussi d’Artagnan fut-il servi avec une célérité miraculeuse. Le régiment des gardes se recrutait parmi les premiers gentilshommes du royaume, et d’Artagnan, suivi d’un laquais et voyageant avec quatre chevaux magnifiques, ne pouvait, malgré la simplicité de son uniforme, manquer de faire sensation. L’hôte voulut le servir lui-même ; ce que voyant, d’Artagnan fit apporter deux verres et entama la conversation suivante :