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Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/317

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— Oui, dis-moi que tu m’aimes après m’avoir si effrontément trompé, hypocrite et dangereuse femme, pensait de son côté d’Artagnan, et ensuite je rirai de toi avec celui que tu veux punir par ma main.

D’Artagnan releva la tête.

— Je suis prêt, dit-il.

— Vous m’avez donc comprise, cher monsieur d’Artagnan ? dit milady.

— Je devinerais un de vos regards.

— Ainsi, vous emploieriez pour moi votre bras, qui s’est déjà acquis tant de renommée ?

— À l’instant même.

— Mais moi, dit milady, comment reconnaîtrai-je jamais un pareil service ?

— Vous amour est la seule récompense que je désire, dit d’Artagnan, la seule qui soit digne de vous et de moi.

Et il l’attira doucement vers lui.

Elle résista à peine.

— Intéressé ! dit-elle en souriant.

— Ah ! s’écria d’Artagnan, emporté par la passion que cette femme avait le don d’allumer dans son cœur ; ah ! c’est que votre amour me paraît invraisemblable, et qu’ayant peur de le voir s’évanouir comme un rêve, j’ai hâte d’en recevoir l’assurance positive de votre bouche.

— Méritez-vous donc déjà un pareil aveu ?

— Je suis à vos ordres, dit d’Artagnan.

— Bien sûr ? fit milady avec un dernier doute.

— Nommez-moi l’infâme qui a pu faire pleurer vos beaux yeux.

— Qui vous dit que j’ai pleuré ? s’écria-t-elle.

— Il me semblait…

— Les femmes comme moi ne pleurent pas, reprit milady.

— Tant mieux ! Voyons, dites-moi comment il s’appelle.

— Songez que son nom, c’est tout mon secret.

— Il faut cependant que je sache son nom.

— Oui, il le faut, voyez si j’ai confiance en vous !

— Vous me comblez de joie. Comment s’appelle-t-il ?

— Vous le connaissez.

— Vraiment ?

— Oui.

— Ce n’est pas un de mes amis ? reprit d’Artagnan en jouant l’hésitation, pour faire croire à son ignorance.

— Si c’était un de vos amis, vous hésiteriez donc ? s’écria milady, et un éclair de menace passa dans ses yeux.

— Non, fût-ce mon frère, s’écria d’Artagnan comme emporté par l’enthousiasme.

Notre Gascon s’avançait sans risque, car il savait où il allait.

— J’aime votre dévoûment, dit milady.

— Hélas ! n’aimez-vous que cela en moi ? demanda d’Artagnan.

— Je vous aime aussi, répondit-elle en lui prenant la main.

Et cette pression fit frissonner d’Artagnan, comme si par le toucher la fièvre qui brûlait milady le gagnait lui-même.