Seulement, pour adoucir l’ennui de la faction, Athos lui permit d’emporter un pain, deux côtelettes et une bouteille de vin.
— Et maintenant, à table ! dit Athos.
Les quatre amis s’assirent à terre, les jambes croisées comme des Turcs ou comme des tailleurs.
— Ah ça ! maintenant, dit d’Artagnan, que nous n’avons plus la crainte d’être entendus, j’espère que vous allez nous faire part de votre secret, Athos ?
— Je me vante de vous procurer à la fois de l’agrément et de la gloire, messieurs, dit Athos. Je vous ai fait faire une promenade charmante ; voici un déjeuner des plus succulents ; cinq cents personnes là-bas, comme vous pouvez les voir à travers les meurtrières, qui nous prennent pour des fous ou pour des héros, deux classes d’imbéciles qui se ressemblent assez.
— Mais ce secret ? demanda d’Artagnan.
— Le secret, dit Athos, c’est que j’ai vu milady hier soir.
D’Artagnan portait son verre à ses lèvres, mais à ce nom de milady la main lui trembla si fort qu’il le posa à terre pour ne pas en répandre le contenu.
— Vous avez vu votre ?…
— Chut donc ! interrompit Athos ; vous oubliez, mon cher, que ces messieurs ne sont pas initiés comme vous dans le secret de mes affaires de ménage. J’ai vu milady.
— Et où cela ? demanda d’Artagnan.
— À deux lieues d’ici à peu près, à l’auberge du Colombier-Rouge.
— En ce cas, je suis perdu, dit d’Artagnan.
— Non, pas tout à fait encore, reprit Athos, car à cette heure elle doit avoir quitté les côtes de France.
D’Artagnan respira.
— Mais au bout du compte, demanda Porthos, qu’est-ce donc que cette milady ?
— Une femme charmante, dit Athos en dégustant un verre de vin mousseux. Canaille d’hôtelier ! s’écria-t-il, qui nous donne du vin d’Anjou pour du vin de Champagne, et qui croit que nous nous y laisserons prendre ! Oui, continua-t-il, une femme charmante qui a eu des bontés pour notre ami d’Artagnan, lequel, en échange, lui a fait je ne sais quelle noirceur dont elle a essayé de se venger, il y a un mois, en voulant le faire tuer à coups de mousquet ; il y a huit jours, en essayant de l’empoisonner, et hier en demandant sa tête au cardinal.
— Comment ! en demandant ma tête au cardinal ? s’écria d’Artagnan pâle de terreur.
— Ça, dit Porthos, c’est vrai comme l’Évangile, je l’ai entendu de mes deux oreilles.
— Moi aussi, dit Aramis.
— Alors, dit d’Artagnan en laissant tomber son bras avec découragement, il est inutile de lutter plus longtemps ; autant que je me brûle la cervelle et que tout soit fini.
— C’est la dernière sottise qu’il faut faire, dit Athos, attendu que c’est la seule à laquelle il n’y ait pas de remède.
— Mais je n’en réchapperai jamais, dit d’Artagnan, avec des ennemis