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Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/402

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Chacun offrait le sien : Athos vantait la discrétion de Grimaud, qui ne parlait que lorsque son maître lui décousait la bouche ; Porthos vantait la force de Mousqueton, qui était de taille à rosser quatre hommes de complexion ordinaire ; Aramis, confiant dans l’adresse de Bazin, faisait un éloge pompeux de son candidat ; enfin d’Artagnan avait foi entière dans la bravoure de Planchet, et rappelait de quelle façon il s’était conduit dans l’affaire épineuse de Boulogne.

Ces quatre vertus disputèrent longtemps le prix, et donnèrent lieu à de magnifiques discours, que nous ne rapporterons point de peur qu’ils ne fassent longueur.

— Malheureusement, dit Athos, il faudrait que celui qu’on enverra possédât en lui seul les quatre qualités réunies.

— Mais où rencontrer un pareil laquais ?

— Introuvable, dit Athos ; je le sais bien ; prenez donc Grimaud.

— Prenez Mousqueton.

— Prenez Bazin.

— Prenez Planchet. Planchet est brave et adroit : c’est déjà deux qualités sur quatre.

— Messieurs, dit Aramis, le principal n’est pas de savoir lequel de nos quatre laquais est le plus discret, le plus fort, le plus adroit ou le plus brave ; le principal est de savoir lequel aime le plus l’argent.

— Ce que dit Aramis est plein de sens, reprit Athos ; il faut spéculer sur les défauts des gens et non sur leurs vertus. M. l’abbé, vous êtes un grand moraliste.

— Sans doute, répliqua Aramis ; car nous avons besoin d’être bien servis, non seulement pour réussir, mais encore pour ne pas échouer, puisque en cas d’échec il y va de la tête, non pour les laquais…

— Plus bas, Aramis, dit Athos.

— C’est juste ; non pas pour les laquais, reprit Aramis, mais pour le maître, et même pour les maîtres. Nos valets nous sont-ils assez dévoués pour risquer leur vie pour nous ? Non.

— Ma foi ! dit d’Artagnan, je répondrais presque de Planchet, moi.

— Eh bien ! mon cher ami, ajoutez à son dévoûment naturel une bonne somme qui lui donne quelque aisance, et alors, au lieu d’en répondre une fois, répondez-en deux.

— Eh ! bon Dieu, vous serez trompés tout de même, dit Athos, qui était optimiste quand il s’agissait des choses, et pessimiste quand il s’agissait des hommes ; ils promettront tout pour avoir de l’argent, et en chemin la peur les empêchera d’agir. Une fois pris, on les serrera ; serrés, ils avoueront. Que diable ! nous ne sommes pas des enfants ! Pour aller en Angleterre (Athos baissa la voix), il faut traverser toute la France, semée d’espions et de créatures du cardinal ; il faut une passe pour s’embarquer ; il faut savoir l’anglais pour demander son chemin à Londres. Tenez, je vois la chose bien difficile.

— Mais point du tout, dit d’Artagnan, qui tenait fort à ce que la chose s’accomplît ; je la vois facile, au contraire, moi. Il va sans dire, parbleu ! que si l’on écrit à Lord de Winter des choses pardessus les maisons, des horreurs du cardinal…

— Plus bas ! dit Athos.