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— En ai-je l’air ? demanda le baron en se relevant et en faisant un pas en arrière.

— Ou plutôt vous m’insultez, continua-t-elle en pressant de ses mains crispées les deux bras du fauteuil et en se soulevant sur ses poignets.

— Vous insulter ? moi ? dit lord de Winter avec mépris ; en vérité, madame, croyez-vous que ce soit possible ?

— Monsieur, dit milady, vous êtes ou ivre ou insensé. Sortez, et envoyez-moi une femme.

— Des femmes sont bien indiscrètes, ma sœur ; ne pourrais-je pas vous servir de suivante ? De cette façon, tous nos secrets resteraient en famille.

— Insolent ! s’écria milady ; et comme mue par un ressort, elle bondit sur le baron, qui l’attendait avec impassibilité, mais une main cependant sur la garde de son épée.

— Eh ! eh ! dit-il, je sais que vous avez l’habitude d’assassiner les gens, mais je me défendrai, moi, je vous en préviens, fût-ce contre vous.

— Oh ! vous avez raison, dit milady, et vous me faites l’effet d’être assez lâche pour porter la main sur une femme.

— Si cela m’arrivait, j’aurais mon excuse. Ma main, d’ailleurs, ne serait pas la première main d’homme qui se serait posée sur vous, j’imagine.

Et le baron indiqua d’un geste lent et accusateur l’épaule gauche de milady, qu’il toucha presque du doigt.

Milady poussa un rugissement sourd et se recula jusque dans l’angle de la chambre, comme une panthère qui s’accule pour s’élancer.

— Oh ! rugissez tant que vous voudrez, s’écria lord de Winter, mais n’essayez pas de mordre, car, je vous en préviens, la chose tournerait à votre préjudice : il n’y a pas ici de procureurs qui règlent d’avance les successions, il n’y a pas de chevalier errant qui vienne me chercher querelle pour la belle dame que je retiens prisonnière ; mais je tiens tout prêts des juges qui disposeront d’une femme assez éhontée pour venir se glisser, bigame, dans la famille de lord de Winter, mon frère aîné, et ces juges vous renverront à un bourreau qui vous fera les deux épaules pareilles.

Les yeux de milady lançaient de tels éclairs, que quoiqu’il fût homme et armé devant une femme désarmée il sentit le froid de la peur se glisser jusqu’au fond de son âme ; il n’en continua pas moins, mais avec une fureur croissante :

— Oui, je comprends ; après avoir hérité de mon frère, il vous eût été doux d’hériter de moi ; mais, sachez-le d’avance, vous pouvez me tuer ou me faire tuer, mes précautions sont prises ; pas un penny de ce que je possède ne passera dans vos mains ni dans celle de votre fils. N’êtes-vous pas déjà assez riche, vous qui possédez près d’un demi-million, et ne pouviez-vous vous arrêter dans votre route fatale, si vous ne faisiez le mal que pour la jouissance infinie et suprême de le faire ! Oh ! tenez, je vous le dis, si la mémoire de mon frère ne m’était sacrée, vous iriez pourrir dans un cachot d’état ou rassasier à Tyburn la curiosité des matelots, tandis que votre fils serait déclaré bâtard. Je me tairai, mais vous, supportez tranquillement votre captivité. Dans quinze ou vingt jours je pars pour La Rochelle avec l’armée ; mais la veille de mon départ un vaisseau