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Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de génie seuls en reçoivent dans les grandes crises, dans les moments suprêmes qui doivent décider de leur fortune ou de leur vie.

Ces deux mots : votre messe, et un simple coup d’œil jeté sur Felton, lui avaient en effet révélé toute l’importance de la réponse qu’elle allait faire.

Mais, avec cette rapidité d’intelligence qui lui était particulière, cette réponse toute formulée se présenta sur ses lèvres :

— Moi ? dit-elle avec un accent de dédain monté à l’unisson de celui qu’elle avait remarqué dans la voix du jeune officier, moi, monsieur, ma messe ? Lord de Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c’est un piège qu’il veut me tendre.

— Et de quelle religion êtes-vous donc, madame ? demanda Felton avec un étonnement que, malgré son empire sur lui-même, il ne put cacher entièrement.

— Je le dirai, s’écria milady avec une exaltation feinte, le jour où j’aurai assez souffert pour ma foi.

Le regard de Felton découvrit à milady toute l’étendue de l’espace qu’elle venait de s’ouvrir par cette seule parole.

Cependant le jeune officier demeura muet et immobile ; son regard seul avait parlé.

— Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d’enthousiasme qu’elle savait familier aux puritains. Eh bien ! que mon Dieu me sauve ou que je périsse pour mon Dieu ! Voilà la réponse que je vous prie de faire à lord de Winter. Et quant à ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eût dû être souillée par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-même, car sans doute vous êtes doublement complice de lord de Winter, complice dans sa persécution, complice dans son hérésie.

Felton ne répondit rien, prit le livre avec le même sentiment de répugnance qu’il avait déjà manifesté et se retira pensif.

Lord de Winter vint vers les cinq heures du soir. Milady avait eu le temps, pendant toute la journée, de se tracer son plan de conduite ; elle le reçut en femme qui a déjà repris tous ses avantages.

— Il paraît, dit le baron en s’asseyant dans un fauteuil en face de celui qu’occupait milady et en étendant nonchalamment ses pieds vers le foyer, il paraît que nous avons fait une petite apostasie ?

— Que voulez-vous dire, monsieur ?

— Je veux dire que depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons changé de religion. Auriez-vous épousé un troisième mari protestant, par hasard ?

— Expliquez-vous, milord, reprit la prisonnière avec majesté, car je vous déclare que j’entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas.

— Alors, c’est que vous n’avez pas de religion du tout ; j’aime mieux cela, reprit en ricanant lord de Winter.

— Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement milady.

— Oh ! je vous avoue que cela m’est parfaitement égal.