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Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/473

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« — Bourreau, dit-il, fais ton devoir ! »

— Oh ! son nom, son nom ! s’écria Felton ; son nom ! dites-le-moi !

— Alors, malgré mes cris, malgré ma résistance, car je commençais à comprendre qu’il s’agissait pour moi de quelque chose de pire que la mort, le bourreau me saisit, me renversa sur le parquet, me meurtrit de ses étreintes, et, suffoquée par les sanglots, presque sans connaissance, invoquant Dieu, qui ne m’écoutait pas, je poussai tout à coup un effroyable cri de douleur et de honte : un fer brûlant, un fer rouge, le fer du bourreau s’était imprimé sur mon épaule.

Felton poussa un rugissement.

— Tenez, dit milady, en se levant alors avec une majesté de reine, tenez, Felton, voyez comment on a inventé un nouveau martyre pour la jeune fille pure et cependant victime de la brutalité d’un scélérat. Apprenez à connaître le cœur des hommes, et désormais faites-vous moins facilement l’instrument de leurs injustes vengeances.

Milady d’un geste rapide ouvrit sa robe, déchira la batiste qui couvrait son épaule, et, rouge d’une feinte colère et d’une honte jouée, montra au jeune homme l’empreinte ineffaçable qui déshonorait cette épaule si belle.

— Mais, s’écria Felton, c’est une fleur de lys que je vois !

— Et voilà justement où est l’infamie, répondit Milady. La flétrissure d’Angleterre !… il eût fallu prouver quel tribunal me l’avait imposée, et j’aurais fait un appel public à tous les tribunaux du royaume ; mais la flétrissure de France… oh ! par elle, j’étais bien réellement flétrie.

C’en était trop pour Felton.

Pâle, immobile, écrasé par cette révélation effroyable, ébloui par la beauté surhumaine de cette femme qui se dévoilait à lui avec une impudeur qu’il trouva sublime, il finit par tomber à genoux devant elle comme faisaient les premiers chrétiens devant ces pures et saintes martyres que la persécution des empereurs livrait dans le cirque à la sanguinaire lubricité des populaces. La flétrissure disparut, la beauté seule resta.

— Pardon, pardon, s’écria Felton, oh ! pardon !

Milady lut dans ses yeux : Amour, amour !

— Pardon de quoi ? demanda-t-elle.

— Pardon de m’être joint à vos persécuteurs.

Milady lui tendit la main.

— Si belle ! si jeune ! s’écria Felton en couvrant cette main de baisers.

Milady laissa tomber sur lui un de ces regards qui d’un esclave font un roi. Felton était puritain : il quitta la main de cette femme pour baiser ses pieds ; il ne l’aimait déjà plus, il l’adorait.

Quand cette crise fut passée, quand milady parut avoir repris son sang-froid, qu’elle n’avait jamais perdu ; lorsque Felton eut vu se refermer sous le voile de la chasteté ces trésors d’amour qu’on ne lui cachait si bien que pour les lui faire désirer plus ardemment :

— Ah ! maintenant, dit-il, je n’ai plus qu’une chose à vous demander, c’est le nom de votre véritable bourreau, car pour moi il n’y en a qu’un ; l’autre était l’instrument, voilà tout.