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Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/486

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chargé milady, Felton trouvait que le plus coupable des deux hommes que renfermait Buckingham était celui dont le public ne connaissait pas la vie. C’est que son amour si étrange, si nouveau, si ardent, lui faisait voir les accusations infâmes et imaginaires de lady de Winter comme on voit au travers d’un verre grossissant, à l’état de monstres effroyables, des atomes imperceptibles en réalité auprès d’une fourmi.

La rapidité de sa course allumait encore son sang. L’idée qu’il laissait derrière lui, exposée à une vengeance effroyable, la femme qu’il aimait ou plutôt qu’il adorait comme une sainte ; l’émotion passée, sa fatigue présente, tout exaltait encore son âme au-dessus des sentiments humains.

Il entra à Portsmouth vers les huit heures du matin. Toute la population était sur pied. Le tambour battait dans les rues et sur le port. Les troupes d’embarquement descendaient vers la mer.

Felton arriva au palais de l’Amirauté, couvert de poussière et ruisselant de sueur. Son visage ordinairement pâle était pourpre de chaleur et de colère. La sentinelle voulut le repousser, mais Felton appela le chef du poste, et tirant de sa poche la lettre dont il était porteur :

— Message pressé de la part de lord de Winter, dit-il.

Au nom de lord de Winter, qu’on savait l’un des plus intimes de Sa Grâce, le chef de poste donna l’ordre de laisser passer Felton, qui, du reste, portait lui-même l’uniforme d’officier de marine.

Felton s’élança dans le palais.

Au moment où il entrait dans le vestibule un homme entrait aussi, poudreux, hors d’haleine, laissant à la porte un cheval de poste qui en arrivant tomba sur les deux genoux.

Felton et lui s’adressèrent en même temps à Patrick, le valet de chambre de confiance du duc. Felton nomma le baron de Winter. L’inconnu ne voulut nommer personne et prétendit que c’était au duc seul qu’il pouvait se faire connaître. Tous deux insistaient pour passer avant l’autre.

Patrick, qui savait que lord de Winter était en affaires de service et en relations d’amitié avec le duc, donna la préférence à celui qui venait en son nom. L’autre fut forcé d’attendre, et il fut facile de voir combien il maudissait ce retard.

Le valet de chambre fit traverser à Felton une grande salle, dans laquelle attendaient les députés de La Rochelle conduits par le prince de Soubise, et l’introduisit dans un cabinet où Buckingham, sortant du bain, achevait sa toilette, à laquelle, cette fois comme toujours, il accordait une attention extraordinaire.

— Le lieutenant Felton, de la part de lord de Winter.

— De la part de Lord de Winter ? répéta Buckingham. Faites entrer.

Felton entra. En ce moment Buckingham jetait sur un canapé une riche robe de chambre brochée d’or pour endosser un pourpoint de velours bleu tout brodé de perles.

— Pourquoi le baron n’est-il pas venu lui-même ? demanda Buckingham. Je l’attendais ce matin.

— Il m’a chargé de dire à Votre Grâce, répondit Felton, qu’il regrettait fort