Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/505

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oh ! non ! s’écria milady avec un accent qui n’admettait pas le doute sur sa vérité, jamais ! jamais !

— Je vous crois, dit Mme Bonacieux, mais pourquoi donc, alors, vous être écriée ainsi ?

— Comment, vous ne comprenez pas ? dit milady, qui était déjà remise de son trouble et qui avait retrouvé toute sa présence d’esprit.

— Comment voulez-vous que je comprenne ? je ne sais rien.

— Vous ne comprenez pas que M. d’Artagnan, étant mon ami, il m’avait prise pour confidente ?

— Vraiment !

— Vous ne comprenez pas que je sais tout : votre enlèvement de la petite maison de Saint-Germain, son désespoir, celui de ses amis, leurs recherches depuis ce moment ? Et comment voulez-vous pas que je m’étonne pas quand, sans m’en douter, je me trouve auprès de vous, dont nous avons parlé si souvent ensemble, de vous, qu’il aime de toute la force de son âme ; de vous, qu’il m’avait fait aimer avant que je ne vous eusse vue ! Ah ! chère Constance, je vous trouve donc, je vous vois donc enfin !

Et milady tendit ses bras à Mme Bonacieux, qui, convaincue par ce qu’elle venait de lui dire, ne vit plus dans cette femme, qu’un instant auparavant elle avait crue sa rivale, qu’une amie sincère et dévouée.

— Oh ! pardonnez-moi ! pardonnez-moi ! s’écria-t-elle en se laissant aller sur son épaule, je l’aime tant !

Ces deux femmes se tinrent un instant embrassées. Certes, si les forces de milady eussent été à la hauteur de sa haine, Mme Bonacieux ne fût sortie que morte de cet embrassement.

Mais ne pouvant pas l’étouffer, elle lui sourit.

— Oh ! chère belle, chère bonne petite, dit milady, que je suis heureuse de vous voir ! Laissez-moi vous regarder. Et en disant ces mots, elle la dévorait effectivement du regard. Oui, c’est bien vous. Ah ! d’après ce qu’il m’a dit, je vous reconnais à cette heure, je vous reconnais parfaitement.

La pauvre jeune femme ne pouvait se douter de ce qui se passait d’affreusement cruel derrière le rempart de ce front pur, derrière ces yeux si brillants où elle ne lisait que de l’intérêt et de la compassion.

— Alors vous savez ce que j’ai souffert, dit Mme Bonacieux, puisqu’il vous a dit ce qu’il souffrait. Mais souffrir pour lui, c’est du bonheur.

Milady reprit machinalement :

— Oui, c’est du bonheur.

Elle pensait à autre chose.

— Et puis, continua Mme Bonacieux, mon supplice touche à son terme : demain, ce soir peut-être, je le reverrai, et alors le passé n’existera plus.

— Ce soir ? demain ? s’écria milady tirée de sa rêverie par ces paroles ; que voulez-vous dire ? attendez-vous quelque nouvelle de lui ?

— Je l’attends lui-même.

— Lui-même ? d’Artagnan, ici !

— Lui-même.