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— Oui, oui, du secours, du secours, murmura Mme Bonacieux ; du secours !

Puis rassemblant toutes ses forces, elle prit la tête du jeune homme entre ses deux mains, le regarda un instant comme si toute son âme était passée dans son regard, et, avec un cri sanglotant elle appuya ses lèvres sur les siennes.

— Constance, Constance ! s’écria d’Artagnan.

Un soupir s’échappa de la bouche de Mme Bonacieux, effleurant celle de d’Artagnan ; ce soupir, c’était cette âme si chaste et si aimante qui remontait au ciel.

D’Artagnan ne serrait plus qu’un cadavre entre ses bras.

Le jeune homme poussa un cri et tomba près de sa maîtresse, aussi pâle et aussi glacé qu’elle.

Porthos pleura ! Aramis montra le poing au ciel ! Athos fit le signe de la croix.

En ce moment un homme parut sur la porte, presque aussi pâle que ceux qui étaient dans la chambre, et regarda tout autour de lui, vit Mme Bonacieux morte et d’Artagnan évanoui.

Il apparaissait juste à cet instant de stupeur qui suit les grandes catastrophes.

— Je ne m’étais pas trompé, dit-il ; voilà M. d’Artagnan, et vous êtes ses trois amis, MM. Athos, Porthos et Aramis.

Ceux dont les noms venaient d’être prononcés regardaient l’étranger avec étonnement, il leur semblait à tous trois le reconnaître.

— Messieurs, reprit le nouveau venu, vous êtes comme moi à la recherche d’une femme qui, ajouta-t-il avec un sourire terrible, a dû passer par ici, car j’y vois un cadavre.

Les trois amis restèrent muets ; seulement la voix comme le visage leur rappelait un homme qu’ils avaient déjà vu, mais ils ne pouvaient se souvenir dans quelles circonstances.

— Messieurs, continua l’étranger, puisque vous ne voulez pas reconnaître un homme qui probablement vous doit la vie deux fois, il faut bien que je me nomme ; je suis lord de Winter, le beau-frère de cette femme.

Les trois amis jetèrent un cri de surprise.

Athos se leva et lui tendit la main.

— Soyez le bienvenu, milord, dit-il, vous êtes des nôtres.

— Je suis parti cinq heures après elle de Portsmouth, dit lord de Winter, je suis arrivé trois heures après elle à Boulogne, je l’ai manquée de vingt minutes à Saint-Omer ; enfin, à Lilliers, j’ai perdu sa trace. J’allais au hasard, m’informant à tout le monde, quand je vous ai vus passer au galop ; j’ai reconnu M. d’Artagnan. Je vous ai appelés, vous ne m’avez pas répondu ; j’ai voulu vous suivre, mais mon cheval était trop fatigué pour aller du même train que les vôtres, et cependant il paraît que malgré la diligence que vous avez faite, vous êtes encore arrivés trop tard.

— Vous voyez, dit Athos en montrant à lord de Winter Mme Bonacieux morte et d’Artagnan que Porthos et Aramis essayaient de rappeler à la vie.

— Sont-ils donc morts tous deux ? demanda froidement lord de Winter.

— Non, heureusement, répondit Athos, M. d’Artagnan n’est qu’évanoui.

— Ah ! tant mieux, dit Lord de Winter.