« Ce fut ainsi que nous fûmes séparés de Dolomieu, qu’attendait une captivité non moins terrible que la nôtre[1].
» À notre arrivée au château, on nous donna à chacun une chambre séparée.
« À peine installés, nous fîmes venir le gouverneur ; nous lui racontâmes la proposition faite par le cardinal Ruffo, et nous lui demandâmes conseil sur ce que nous avions à faire.
» Il nous invita, notre lettre étant restée sans réponse, à en écrire une nouvelle ; ce que nous fîmes à l’instant même : un bâtiment en partance devait s’en charger et la remettre au général d’Anciera, commandant de Messine.
» Il va sans dire que nous n’eûmes pas plus de nouvelles de celle-là que de la première.
» Le surlendemain de mon entrée au château de Brindisi, comme je reposais sur mon lit, la fenêtre ouverte, un paquet d’un certain volume passa à travers les barreaux de ma fenêtre et vint tomber au milieu de ma chambre.
» Je me levai et ramassai le paquet : il était ficelé ; je coupai les cordelettes qui le maintenaient, et je reconnus que ce paquet se composait de deux volumes.
» Ces deux volumes étaient intitulés le Médecin de campagne, par Tissot.
» Un petit papier, plié entre la première et la seconde page, renfermait ces mots :
« De la part des patriotes calabrais ; voir au mot Poison. »
» Je cherchai le mot indiqué : il était doublement souligné.
» Je compris que ma vie était menacée ; je cachai les deux volumes de mon mieux, dans la crainte qu’ils ne me fussent
- ↑ Transporté dans les prisons de Naples, Dolomieu réclamait de son geôlier quelque adoucissement à sa position.
Le geôlier refusa ce que lui demandait l’illustre savant.
— Prends garde ! lui dit celui-ci, avec de pareils traitements, je sens que je n’ai plus que quelques jours à vivre.
— Que m’importe ! répondit le geôlier, je ne dois compte que de vos os.
Dolomieu mourut deux ans après sa sortie de prison.