Mon père la prit dans ses deux mains, comme fait une nourrice d’un enfant, et la porta à la fenêtre.
Il la tint là dix minutes, à peu près. L’animal ne voulait pas débucher. Enfin, il traversa l’allée, puis les chiens vinrent après lui, puis les chasseurs après les chiens.
La princesse fit un signe aux chasseurs avec un mouchoir qu’elle tenait à la main.
Ceux-ci répondirent avec leurs chapeaux.
Puis mon père la reposa sur le canapé, et reprit sa place auprès d’elle.
Je ne sais plus ce qui se passa derrière moi. J’étais tout entier à ce cerf qui venait de franchir cette allée, à ces chiens, à ces chasseurs ; tout cela était autrement intéressant pour moi que la princesse.
Son souvenir cesse donc entièrement pour moi à ce salut fait de sa main blanche et avec son mouchoir blanc.
Je ne l’ai jamais revue depuis ; mais je l’avais si bien vue ce jour-là, que je la vois encore aujourd’hui.
Restâmes-nous à Montgobert ou revînmes-nous le même jour à Villers-Cotterets ? Je n’en sais plus rien.
Ce que je sais, c’est que, peu après, mon père s’affaiblit, qu’il sortit moins souvent, qu’il monta plus rarement à cheval, qu’il garda plus longuement la chambre, qu’il me prit plus tristement sur ses genoux.
Encore, tout cela m’est-il revenu depuis par lueurs, comme des choses qu’on a vues pendant une nuit sombre, à la flamme des éclairs.
Quelques jours avant sa mort, mon père reçut une permission de chasse. C’était le maréchal de l’Empire Alexandre Berthier, grand veneur de la couronne, qui la lui envoyait. Alexandre Berthier était un vieil ennemi de mon père, c’était lui qui l’avait porté en observation au siège de Mantoue. Aussi lui avait-il fait attendre longtemps cette permission, valable du Ier vendémiaire au 15 ventôse, c’est-à-dire du 23 septembre au 6 mars.
Mon père la reçut le 24 février.
Il devait mourir le 26.