— Pour toujours ?
— Pour toujours.
— Et vous dites que je ne le verrai plus ?
— Plus jamais.
— Plus jamais, jamais ?
— Plus jamais !
— Et où demeure-t-il, le bon Dieu ?
— Il demeure au ciel.
Je restai un instant pensif. Si enfant, si privé de raison que je fusse, je comprenais cependant que quelque chose de fatal venait de s’accomplir dans ma vie. Puis, profitant du premier moment où l’on cessa de faire attention à moi, je m’échappai de chez mon oncle et courus droit chez ma mère.
Toutes les portes étaient ouvertes, tous les visages étaient effarés ; on sentait que la mort était là.
J’entrai donc sans que personne me vit ou me remarquât. Je gagnai une petite chambre où l’on enfermait les armes ; je pris un fusil à un coup qui appartenait à mon père, et que l’on avait souvent promis de me donner quand je serais grand.
Puis, armé de ce fusil, je montai l’escalier.
Au premier étage, je rencontrai ma mère sur le palier.
Elle sortait de la chambre mortuaire… elle était tout en larmes.
— Où vas-tu ? me demanda-t-elle, étonnée de me voir là, quand elle me croyait chez mon oncle.
— Je vais au ciel ! répondis-je.
— Comment, tu vas au ciel ?
— Oui, laisse-moi passer.
— Et qu’y vas-tu faire, au ciel, mon pauvre enfant ?
— J’y vais tuer le bon Dieu, qui a tué papa.
Ma mère me saisit entre ses bras, et, me serrant à m’étouffer :
— Oh ! ne dis pas de ces choses-là, mon enfant, s’écria-t-elle ; nous sommes déjà bien assez malheureux !
En effet, la mort de mon père, qui n’avait que quatre mille francs de retraite, nous laissait sans autre fortune qu’une tren-