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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/122

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de Coire, avait établi une école à Reichenau. On était en quête, dans le canton, d’un professeur de français, lorsque se présenta à M. Boni, directeur de l’établissement, un jeune homme porteur d’une lettre de recommandatiou signée par le bailli Aloys Toost, de Zizers. Le jeune homme était Français, parlait sa langue maternelle, l’anglais et l’allemand, et pouvait, outre ces trois langues, professer les mathématiques, la physique et la géographie. La trouvaille était trop merveilleuse et trop rare pour que le directeur du collège la laissât échapper ; d’ailleurs, le jeune homme était modeste dans ses prétentions. M. Boul fit prix avec lui à quatorze cents francs par an, et le nouveau professeur, immédiatement installé, entra en fonctions.

» Ce jeune professeur était Louis-Philippe d’Orléans, duc de Chartres, aujourd’hui roi de France.

» Ce fut, je l’avoue, avec une émotion mêlée de fierté que, sur les lieux mêmes, dans cette chambre située au milieu du corridor, avec sa porte d’entrée à deux battants, ses portes latérales à fleurs peintes, ses cheminées placées aux angles, ses tableaux Louis XV entourés d’arabesques d’or, et son plafond ornementé ; ce fut, dis-je, avec une vive émotion que, dans cette chambre où avait professé le duc de Chartres, je recueillis des renseignements sur cette singulière vicissitude d’une fortune royale qui, ne voulant pas mendier le pain de l’exil, l’avait dignement acheté de son travail.

» Un seul professeur, collègue du duc d’Orléans, et un seul écolier, son élève, existaient encore en 1832, époque à laquelle je visitai Reichenau. Le professeur est le romancier Zschokke, et l’écolier, le bourgmestre Tscharner, fils de celui-là même qui avait fondé l’école. Quant au digne bailli Aloys Toost, il est mort en 1827, et il a été enterré à Zizers, sa ville natale. Aujourd’hui, il ne reste plus rien du collège où professa un futur roi de France, si ce n’est la chambre d’étude que nous avons décrite, et la chapelle, attenante au corridor, avec sa tribune et son autel surmonté d’un crucifix point à fresque. Quant au reste des bâtiments, ils sont devenus une espèce de villa appartenant au colonel Pastalluzzi, et ce sou-