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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/98

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

témoins, ma demande serait refusée ; sachez que vous êtes mort pour tout ce qui est Français, pour votre famille. Au nom des horribles tourments auxquels les rois de l’Europe ont condamné voire père ; en pensant à cette agonie de banni par laquelle ils lui ont fait expier le crime d’avoir été trop généreux envers eux, songez que vous êtes son fils, que ses regards mourants se sont arrêtés sur votre image ; pénétrez-vous de tant d’horreurs, et ne leur imposez d’autre supplice que de vous voir assis sur le trône de France ! Profitez de ce moment, prince !… J’ai peut-être trop dit : mon sort est entre vos mains, et je puis vous dire que, si vous vous servez de mes lettres pour me perdre, l’idée de votre lâcheté me fera plus souffrir que tout ce que l’on pourra me faire endurer !
» L’homme qui vous remettra cette lettre se chargera aussi de votre réponse. Si vous avez de l’honneur, vous ne m’en refuserez pas une.
« Napoleone Camerata. »

Cette lettre effraya fort le jeune prince : c’était une mise en demeure claire, nette, positive. « Êtes-vous archiduc autrichien ou prince français ? » Là était la question.

Le duc s’ouvrit de cet événement et de l’inquiétude qu’il lui causait au chevalier de Prokesch.

— Vous comprenez bien, lui dit-il, que je ne prendrai pas pour guide de ma conduite et pour garant de mon avenir des personnes d’un caractère aussi exalté ; mais je me trouve dans un embarras véritable. Il est dans mes sentiments envers l’empereur (quand le duc de Reichstadt parle de l’empereur, c’est toujours de l’empereur François II qu’il parle), il est dans mes sentiments envers l’empereur, comme dans la dignité de ma situation, de ne lui cacher ni mes peines, ni mes démarches ; lui taire cette circonstance me semblerait un tort vis-à-vis de lui. D’un autre côté, je ne voudrais pas nuire à la comtesse ; elle manque de prudence, mais elle a droit à mes égards… D’ailleurs, c’est une femme. Cependant, mon premier devoir est envers l’empereur… — Ne pourriez-vous pas aller, de ma part, trouver le comte de Dietrichstein,