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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le lendemain, le premier de nous qui se leva retrouva Sabine dans sa niche.

Elle était couchée, et avait ses trois chiens entre ses pattes.

Elle avait été les chercher à Brassoire, et, comme elle n’avait pu en rapporter qu’un entre ses dents à chaque voyage, il était évident qu’elle avait fait trois voyages.

Il y avait trois lieues et demie de Villers-Cotterets à Brassoire ; c’était vingt et une lieues que Sabine avait faites pendant la nuit.

En récompense de son dévouement maternel, on lui laissa ses trois chiens.


XLII


Seconde période de ma jeunesse. — Les gardes forestiers et les marins. — Choron. — Moinat. — Mildet. — Berthelin. — La Maison-Neuve.

Puisque j’entre dans la seconde période de ma jeunesse, puisque je dépose la robe prétexte pour prendre la robe virile, il faut que le lecteur fasse connaissance avec les individus qui peuplent le second cercle de ma vie, comme il a déjà fait connaissance avec ceux qui peuplaient le premier.

Il existe, dans les localités voisines des grands bois, une population particulière qui, au milieu de la population générale, garde son cachet, conserve son caractère, et fournit à la poésie universelle, qui est l’âme du monde, son contingent de poésie.

Cette population, c’est la population forestière.

J’ai beaucoup vécu avec les gardes, et beaucoup vécu avec les marins, et j’ai toujours remarqué une grande analogie entre ces deux races d’hommes ; les uns et les autres sont, en général, froids, rêveurs et religieux ; souvent, le marin ou le garde forestier restera côte à côte avec son meilleur ami, l’un filant quarante ou cinquante nœuds sur l’Océan, l’autre faisant huit ou dix lieues à travers les grands bois, sans échanger une seule parole, sans avoir l’air de rien entendre, sans paraître rien voir ; et, cependant, pas un bruit ne passera dans