Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

me douter que je serais un jour l’historien de ta vie ignorée et de ta mort sanglante !


XLVI


Ma mère songe que j’ai quinze ans, et que la marette et la pipée ne peuvent pas me créer un brillant avenir. — J’entre dans l’étude de maître Mennesson, notaire, en qualité de saute-ruisseau. — Mon patron et mes collègues. — La fontaine Eau-Claire.

Cependant, toutes ces parties de chasse, qui me procuraient une existence assez agréable, existence qui pouvait indéfiniment se continuer ainsi, en me supposant une vingtaine de mille livres de rente, ne constituaient pas un avenir à un pauvre diable, dont le patrimoine, malgré l’économie maternelle, fondait de jour en jour d’une effrayante façon.

J’avais quinze ans. On jugea qu’il était temps de me faire apprendre un état, et on se décida pour celui de notaire.

À cette époque, où non-seulement un voile couvrait mon avenir, mais où je n’avais encore ressenti, vers cet avenir, aucune des aspirations qui m’y entraînèrent depuis, tout état, excepté celui de séminariste, m’était assez indifférent.

Ma mère, un beau matin, sortit donc de la maison, et, traversant la place en diagonale, alla demander à son notaire s’il voulait bien de moi pour son troisième clerc.

Le notaire répondit qu’il ne demandait pas mieux que de me recevoir chez lui, mais qu’il lui semblait, sauf erreur, que j’avais de telles dispositions pour la marette, pour la pipée et pour la chasse, qu’il était douteux que je devinsse jamais un écolier bien assidu de Cujas et de Pothier.

Ma mère poussa un soupir ; c’était peut-être bien aussi son opinion à elle-même, mais elle n’en insista pas moins, et le notaire lui répondit :

— Eh bien, ma chère madame Dumas, puisque cela vous fait tant de plaisir, envoyez-le-moi toujours, et l’on verra.