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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/166

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le juge de paix avait averti son greffier, et tous deux s’étaient rendus au cachot de l’accusé.

Cette fois, il ne refusait plus de parler ; il avait, au contraire, toute une histoire à raconter : cette histoire était une accusation de meurtre contre son maître, Auguste Picot.

Voici l’échafaudage, assez habile, bâti par cet homme dans la solitude de son cachot, et à l’aide duquel il espérait entraîner dans sa complicité un homme assez fort pour se tirer d’affaire avec lui. C’est Marot qui raconte.

Le jour de l’assassinat, un jeune homme qui suivait la grande route, cherchant de l’ouvrage, aperçut dans la plaine Marot, occupé à changer son parc déplacé.

Le jeune homme avait quitté la grande route, et était venu droit au berger, au moment où celui-ci enfonçait son dernier piquet.

Alors, il lui avait exposé sa misère ; il lui avait dit que, n’ayant pas de quoi acheter du pain, il avait traversé la ville sans manger, trop fier qu’il était pour demander l’aumône ; mais que, l’ayant aperçu, lui, homme du peuple, il n’avait pas craint de venir à lui, pour lui tendre la main comme à un frère et lui demander la moitié de son pain.

Marot avait, en effet, tiré de sa cabane un de ces petits pains ronds et épais, comme, les fermiers en distribuent le matin à leurs journaliers, et avait partagé le pain avec le voyageur, qui s’était assis près de lui.

Tous deux, adossés à la cabane, avaient commencé à déjeuner. Tout à coup, — c’est toujours Marot qui parle, — Auguste Picot était arrivé au grand galop de son cheval, et, s’avançant avec brutalité vers son berger :

— Misérable ! lui avait-il dit, crois-tu que je te donne mon pain pour le faire manger à des vagabonds et à des mendiants ?

L’étranger avait voulu répondre, excuser le berger ; mais Picot — toujours suivant l’accusateur — avait poussé son cheval sur lui avec tant de brutalité, que le jeune homme, pour ne pas être foulé aux pieds, avait été forcé de lever son bâton.