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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/177

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mais j’avais eu beau retourner la bibliothèque de fond en comble, il m’avait été impossible de mettre la main dessus.

J’y avais renoncé.

Tout à coup, cette idée que j’allais être le cavalier d’une jeune demoiselle de vingt-deux à vingt-quatre ans m’avait fait jeter les yeux sur ma garde-robe.

Presque toutes mes vestes avaient des pièces au coude ; presque tous mes pantalons avaient des reprises aux genoux.

Le seul costume présentable que j’eusse était mon costume de première communion : culotte de nankin, gilet de piqué blanc, habit bleu barbeau à boutons d’or.

Heureusement, tout avait été tenu de deux pouces trop long, de sorte que tout n’était encore que d’un pouce trop court.

Il y avait dans le grenier un grand bahut ; dans ce bahut étaient des redingotes et des pantalons de mon père, des redingotes, des vestes et des culottes de mon grand-père : le tout en fort bon état.

Ces vêtements, destinés par ma mère à entretenir ma toilette au fur et à mesure que je grandirais, étaient garantis des vers par des bottes de vétyver et des sachets de camphre.

Jamais je ne m’étais inquiété de ma toilette, et jamais, par conséquent, il ne m’avait pris l’idée de visiter cette armoire.

Mais, promu par l’abbé Grégoire, qui avait vu en moi un danseur sans conséquence, au grade de sigisbé de sa nièce, une nouvelle préoccupation entra dans mon esprit.

Je me sentis atteint d’un grain de coquetterie.

Sans rien dire à ma mère, car j’avais mes projets, je montai au grenier ; je m’enfermai pour ne pas être dérangé dans ma perquisition, et j’ouvris l’armoire.

Il y avait de quoi satisfaire le fashionable le plus exigeant : depuis la veste de satin broché jusqu’au gilet rouge, brodé d’or ; depuis la culotte de reps jusqu’au pantalon de peau.

Mais, surtout, ce qu’il y avait sous tous ces habits, ce qu’il y avait au fond de cette mystérieuse armoire, c’étaient ces fameux volumes couverts de papier rouge, et qu’il m’était si expressément défendu de lire.