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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/180

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

enfant, moi qu’on ne se fût point étonné de voir avec un col rabattu, une veste ronde et un pantalon garni, j’étais vêtu comme un vieillard, — anachronisme que faisait ressortir encore davantage la charmante coquette que je tenais au bras, laquelle savait si bien que le ridicule qui courait après son cavalier ne pouvait l’atteindre, qu’elle demeurait, au milieu des sourires que je traversais, et des regards curieux qui nous suivaient, calme comme les divinités de Virgile, qui passent au milieu des hommes, s’inquiétant peu d’être vues parce qu’elles ne daignent pas regarder. Mais il n’en était pas de même de moi : je me sentais rougir à tout moment, et, quand arrivait quelqu’un de ma connaissance, au lieu de chercher orgueilleusement son regard, je détournais sans affectation la tête.

C’est que, comme le cerf de la fable, je venais de m’apercevoir que j’avais d’assez pauvres jambes.

Parce que j’avais hérité des culottes de mon père, ma pauvre mère s’était figuré que j’avais hérité en même temps de ses mollets.

Ils ont poussé depuis, c’est vrai, mais comme affaire de luxe, quand on ne portait plus du tout de culottes courtes.

Le pis de tout cela est que les deux étrangères faisaient de moi un centre de curiosité. Mademoiselle Vittoria marchait immédiatement après nous, donnant le bras à la sœur de l’abbé, petite bossue pleine d’excellentes qualités pour son frère, mais dont la mise simple et la difformité ressortaient d’autant mieux près de la mise élégante et de la riche et plantureuse taille de l’Espagnole.

De temps en temps, les deux jeunes filles se regardaient. Un sourire que je ne voyais pas, mais que, pour ainsi dire, je sentais, s’échangeait entre elles ; et ce sourire, qui me faisait monter la honte au front, semblait dire : « Ah ! chère amie, dans quel guêpier sommes-nous tombées ! »

Un mot redoubla mon embarras, et le tourna en colère.

Un jeune Parisien, employé depuis deux ou trois ans au château, doué de toutes les qualités qui me manquaient, c’est-à-dire blond, rose, grassouillet, mis à la dernière mode, nous