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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/188

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En reconduisant ma danseuse à sa place, je recueillis les fruits de mon triomphe.

— Mais savez-vous que vous dansez très-bien ? me dit ma Parisienne. Où avez-vous donc appris ?

— Ici.

— Comment… ici, à Villers-Cotterets ?

J’eus grande envie de répondre comme la baronne de la Fausse Agnès, profondément blessé que j’étais dans l’amour-propre de ma ville natale : « Vous nous prenez donc pour des grues, nous autres gens de province ? » Mais je me contentai de dire, d’un petit ton goguenard :

— Oui, ici, à Villers-Cotterets.

Puis j’ajoutai, de l’air d’un homme qui est sûr de lui :

— Valseriez-vous, par hasard ?

— Non, cela me fait mal ; mais voilà Vittoria qui adore la valse.

Je me retournai vers l’Espagnole.

— Si vous n’avez pas d’engagement ? lui demandai-je.

— Non.

— Êtes-vous disposée à vous risquer ?

Elle me regarda.

— Ma foi, oui, dit-elle en souriant.

On joua une valse.

Si j’étais un danseur passable, j’étais un excellent valseur. L’Espagnole s’en aperçut aux premiers tours que nous fîmes, et se livra tout entière, sentant qu’elle était soutenue et conduite.

— Mais vous valsez très-bien, me dit-elle.

— Vous me faites d’autant plus de plaisir, lui répondis-je, que je n’ai encore valsé qu’avec des chaises.

— Comment, avec des chaises ? me demanda-t-elle.

— Oui, continuai-je, j’ai appris à valser, l’année où j’ai fait ma première communion, et l’abbé Grégoire m’avait défendu de valser avec des femmes ; de sorte que mon maître de danse, pensant qu’il fallait absolument que je tinsse quelque chose dans mes bras, m’y mettait une chaise ; de cette façon, je prenais ma leçon sans pécher.