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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/20

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je vois encore tout le premier rang précédé de deux trompettes tenant leur instrument à la main, mais ne sonnant pas.

Derrière les trompettes marchait un officier.

C’étaient de beaux jeunes gens blonds, et plus distingués que ne sont des soldats ordinaires ; sans doute de ces levées volontaires de 1813, qui vinrent à Leipzig faire leur coup d’essai contre nous ; des officiers de ce Tugendbund qui avait donné Staps, et qui devait donner Sand.

Ils passèrent sous nos fenêtres, puis disparurent.

Un instant après, nous entendîmes comme un ouragan ; la maison trembla au galop des chevaux. À l’extrémité de la rue, les Prussiens avaient été chargés par notre cavalerie, et, comme ils ignoraient notre petit nombre, ils revenaient au galop, poursuivis, le sabre dans les reins, par nos hussards.

Tous passaient pêle-mêle, tourbillon de fumée et de bruit. Nos soldats, le pistolet d’une main et le sabre de l’autre, tiraient et sabraient.

Les Prussiens, eux, tiraient en fuyant.

Deux ou trois balles frappèrent la maison ; une d’elles brisa une des traverses du volet par lequel je regardais.

Il y eut alors grande alarme parmi les femmes, qui descendirent précipitamment les escaliers pour se réfugier dans la cave. Ma mère voulut m’entraîner, mais je me cramponnai à l’espagnolette ; ce qui fit que, plutôt que de me quitter, elle resta près de moi.

Le spectacle était magnifique et terrible à la fois.

Poursuivis de trop près, les Prussiens s’étaient décidés à faire volte-face, et, là, à vingt pas de nous, sous nos yeux, aussi près que les premières loges du Cirque le sont du théâtre, se livrait un combat véritable, un combat corps à corps.

Je vis tomber cinq ou six hommes parmi les Prussiens, et deux ou trois parmi les Français.

Le premier qui tomba était un Prussien ; il fuyait, la tête penchée sur le cou de son cheval, et le dos courbé ; un coup de taille lui ouvrit le dos, de l’épaule droite au flanc gauche, et lui fit à l’instant même un cordon rouge !