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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/205

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


LI


À quoi me servit d’avoir été berné par les deux Parisiennes. — Les jeunes filles de Villers-Cotterets. — Mes trois intimes. — Premières amours.

Au reste, comme François Ier après la bataille de Pavie, je n’avais pas tout perdu après ma défaite.

D’abord, il me restait mes bottes et mon pantalon collant, ces deux objets de mes ardents désirs, lesquels étaient devenus, pour ces jeunes compagnons auxquels m’avait si cruellement renvoyé la belle Laure, un objet d’envie et d’admiration.

Puis, dans cette fréquentation, pendant quinze jours, de deux femmes élégantes, j’avais acquis cette première éducation que donnent seules les femmes. Cette éducation m’avait fait comprendre ce soin de moi-même qui, jusque-là, ne s’était jamais présenté à mon esprit comme une des nécessités de la journée qui s’ouvre et de la journée qui se ferme. Sous le ridicule orgueil de mon changement de toilette, sous ce malheureux essai tenté par moi, pauvre provincial, d’atteindre à l’élégance d’un Parisien, s’était glissé le premier sentiment de l’élégance réelle, c’est-à-dire de la propreté.

J’avais les mains assez belles, les ongles bien faits, les dents fortes mais blanches, les pieds singulièrement petits pour ma taille. J’ignorais tous ces avantages ; mes deux Parisiennes me les firent remarquer, en me donnant des conseils qui devaient doubler la valeur de mes qualités naturelles. Ces conseils, que j’avais d’abord suivis pour leur plaire, je continuai à les suivre pour ma satisfaction personnelle ; de sorte qu’au moment de leur départ, j’avais en réalité franchi le passage qui sépare l’enfance de la jeunesse.

Il est vrai que ce passage avait été rude, et que je l’avais franchi les larmes aux yeux, conduit d’une main par la coquetterie, de l’autre par la douleur.

Puis, — comme ces voyageurs altérés qui, en entrant dans