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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/229

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Vous savez qu’elle va se marier.

— Louise ? Non, je ne savais pas cela. Et à qui ?

— À un Russe… Comprenez-vous, il faut empêcher ce mariage.

— Il faut empêcher ce mariage !

— Oui ; il ne faut pas permettre qu’une si charmante personne quitte la France.

— Tiens, au fait, j’en serais fâché, moi, qu’elle quittât la France ; je l’aime beaucoup ; et vous ?

— Moi ? Je ne la connais que depuis trois jours.

— C’est bien d’empêcher qu’elle ne quitte la France ; mais comment l’empêcherons-nous ?

— Je lui ai fait des vers de mon côté, faites-lui-en du vôtre.

— Moi ?

— Oui, vous ; vous avez été élevé avec elle, cela lui fera plaisir.

— Mais, moi, je ne sais pas faire de vers. Je n’ai jamais fait que des bouts-rimés avec l’abbé Grégoire, et il m’a toujours dit qu’ils n’étaient pas bons.

— Ah ! bah ! quand vous serez amoureux, cela viendra tout seul.

— Non. Je suis amoureux, et cela ne vient pas : montrez-moi donc vos vers.

— Oh ! c’est un simple quatrain.

— Montrez toujours.

Adolphe tira ses tablettes, et me lut ces quatre vers :

Pourquoi dans la froide Ibérie,
Louise, ensevelir de si charmants attraits ?
Les Russes, en quittant notre belle patrie,
Nous juraient cependant une éternelle paix !

Je demeurai émerveillé. C’étaient de vrais vers, des vers dans le genre de Demoustier. J’avais donc devant moi un poëte ; je fus tenté de saluer.

— Comment trouvez-vous mon quatrain ? demanda de Leuven.