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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/237

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

la suffocation. Enfin, ses cris avaient attiré les jeunes filles ; mais, à la vue de cette figure enveloppée d’un drap et faisant des gestes désespérés, la peur s’était emparée d’elles, et, n’ayant aucune idée que Manceau pût se trouver au milieu de la rivière, affublé d’un pareil costume, elles avaient crié au spectre, et s’étaient enfuies.

On envoya au malheureux Manceau le jardinier tant réclamé.

Il demandait ses habits à cor et à cris. Il était resté dans la rivière depuis sept heures du matin jusqu’à midi, et, quoique nous fussions à la fin de juillet, ce bain, infiniment trop prolongé, l’avait quelque peu refroidi.

On lui bassina son lit, et on le coucha.

À partir de ce moment, Manceau fut l’objet de la pitié générale, et nous, nous fûmes celui de l’exécration universelle.

Car Manceau, Dieu lui fasse miséricorde ! Manceau eut la lâcheté de nous dénoncer.

De Leuven eut beau invoquer ses mains, rouges comme des écrevisses, et offrir de montrer le reste de sa personne, bien autrement rouge que ses mains ; Hippolyte eut beau réunir les grenouilles éparses dans sa chambre, et les apporter au milieu du salon ; j’eus beau aller chercher à la basse-cour le coq avec lequel j’avais dialogué toute la nuit, rien ne toucha nos juges ; nous fûmes déclarés bannis de la société, pour tentative d’homicide avec préméditation sur le docteur Manceau.

Aussi nous promîmes-nous, à la première occasion, de le noyer tout à fait.

Exilé de la société des dames, je me réfugiai dans la salle de billard, où je reçus, de Maurice, ma première leçon.

On verra que cette leçon me profita, et que, quatre ans après, dans une circonstance solennelle de ma vie, je tirai partie de l’art du doublé et du carambolage, dans lesquels j’avais fait quelques progrès.

La condamnation tint pendant toute la soirée, devenue pluvieuse, et que les jeunes filles passèrent dans la chambre de Louise.