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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/252

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


LV


Mes premières impressions dramatiques. — L’Hamlet de Ducis à Villers-Cotterets. — Un pamphlet antibourbonien. — Poésie de notaire.

Au nombre des plaisirs qui nous étaient promis par la seconde capitale du département de l’Aisne, nous avions mis au premier rang le spectacle.

Une troupe d’élèves du Conservatoire, courant la province, jouait ce soir-là, par extraordinaire, l’Hamlet de Ducis.

J’ignorais complètement ce que c’était qu’Hamlet ; je dirai plus, j’ignorais complètement ce que c’était que Ducis.

Il était difficile d’être plus ignorant que je ne l’étais.

Ma pauvre mère avait voulu me faire lire les tragédies de Corneille et de Racine ; mais, je dois l’avouer à ma honte, cette lecture m’avait prodigieusement ennuyé. J’ignorais, à cette époque, ce que c’était que le style, ce que c’était que la forme, ce que c’était que le fond ; j’étais l’enfant de la nature dans toute la force du terme : ce qui m’amusait était bon, ce qui m’ennuyait était mauvais.

Je lus donc avec un certain effroi sur l’affiche le mot tragédie.

Mais, au bout du compte, comme cette tragédie était encore ce que Soissons nous offrait de mieux pour nous faire passer la soirée, nous nous mîmes à la queue en temps utile, et, malgré la grande affluence, nous parvînmes à nous placer au parterre.

Il y a quelque chose comme trente-deux ans que cette soirée est écoulée ; eh bien, elle produisit une telle impression sur mon esprit, que les moindres détails en sont encore présents à ma mémoire.

Le jeune homme qui jouait le rôle d’Hamlet était un grand garçon pâle et brun, nommé Cudot ; il avait de beaux yeux, une voix puissante, et de tels souvenirs de Talma, que, lorsque je vis Talma jouer le même rôle, je fus tenté de croire qu’il imitait Cudot.