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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/288

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un passe-port, et son crime devient encore plus grave quand cette personne est une princesse auguste, sortant d’un sang illustre, alliée de toutes les têtes couronnées de l’Europe, et voyageant sous l’égide du passe-port de son illustre cousin l’empereur de Russie, princesse doublement respectable, et par son rang, et par les revers de fortune qu’elle venait d’éprouver.

» Et de quelle indignation ne devons-nous pas être saisis, » s’écrie M. le procureur du roi, « quand nous entendons le prévenu débiter une fable séditieuse pour se soustraire à l’action de la justice ! Quelle est cette portion de Français à laquelle il s’adresse dans ses invocations, et qu’il appelle à son secours ? Quelle foi peut-on ajouter à une pareille invraisemblance, d’avoir reçu une mission contre une personne voyageant sous la sauvegarde des traités les plus solennels, signés par tous les souverains alliés ? et, s’il avait accepté cette mission, n’est-il pas doublement lâche d’avoir reçu l’argent, et trompé ceux qu’il prétend la lui avoir donnée ? Ne faut-il pas l’assimiler, dès lors, à ces êtres vils que nous avons vus de nos jours, sous le poids d’une accusation quelconque, inventer des conspirations, et dénoncer leurs concitoyens inconnus, dans le seul but d’arrêter ou d’égarer la justice ? »

» Le sieur Maubreuil a écouté tout ce réquisitoire avec une vive impatience, et son avocat n’a pu le calmer qu’en lui passant une plume et du papier qu’il demandait.

» Le discours de M. de Vatimesnil achevé, Maubreuil fait passer au président ce qu’il vient d’écrire, puis se lève et dit :

» — Monsieur le président, comme un homme qui s’attend à être assassiné d’un moment à l’autre, je dépose ce testament politique entre vos mains. Français, ici présents, c’est mon honneur que je vous lègue. Comme un homme prêt à paraître devant Dieu, je jure que, par l’intermédiaire de M. Laborie, M. de Talleyrand m’a fait venir ; que, comme j’étais très-ému, on m’a fait prendre un bouillon ; que le prince m’a fait asseoir dans son propre fauteuil ; qu’il m’a offert deux cent mille livres de rente et le titre de duc, si je remplissais bien ma mis-