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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/41

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On l’appelait Montagnon.

Cet armurier avait eu un fils qui était venu chez l’abbé Grégoire en même temps que moi ; il était mort d’épuisement. On me l’avait fait voir sur son lit funèbre, et cette vue avait complété chez moi la guérison commencée par M. Tissot.

Malgré la mort de ce fils, mon camarade, je n’en étais pas moins resté habitué de la maison de son père ; car ce que j’aimais surtout dans cette maison, c’étaient les armes qui s’y trouvaient.

Parmi ces armes se trouvait ce fusil à un coup que j’avais pris le lendemain de la mort de mon père, pour aller tuer le bon Dieu ; ce fusil, on devait me le donner quand je serais grand ; or, ces quatre mots : quand je serais grand, ne précisaient absolument rien, et faisaient mon supplice. Je me trouvais suffisamment grand pour mon compte ; car-je commençais à être plus grand que mon fusil.

11 résultait de cette assiduité chez Montagnon que j’étais encore plus fort en arquebuserie qu’en version ; je pouvais démonter et remonter cette machine assez compliquée qu’on appelle la batterie d’un fusil, aussi bien et presque aussi subtilement que le plus habile armurier.

Le père Montagnon prétendait que c’était ma vocation, et offrait de me prendre gratis en apprentissage.

il se trompait : mon enthousiasme n’allait pas jusque-là.

Le reste de mon temps se passait à faire des armes avec le père Mounier, ou à aller soit à la marette, soit à la pipée avec mes deux meilleurs amis Saulnier et Arpin.

Dans ces moments perdus, il était bien rare que je ne me donnasse point une peignée, au moins, par jour, à cause de mes opinions politiques !

Tout le monde avait une opinion vers la fin de 1814, et vers le commencement de 1815. En général, chaque opinion était même fort ardente.

Seulement, ces opinions, loin de se diviser à l’infini comme aujourd’hui, loin de représenter toutes les nuances de l’arc-en-ciel, ces opinions se séparaient en deux couleurs bien tranchées : on était royaliste ou bonapartiste. Les républicains