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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je me sentais bien près de pleurer.

— Bah ! dit Montagnon, et ton cousin Deviolaine, est-ce qu’il n’est pas là ?

Je secouai la tête. Je n’avais pas à cet endroit grande confiance dans mon cousin Deviolaine. Je lui avais dit plus d’une fois pour le sonder :

— Mon cousin, que me feriez-vous, si vous me preniez chassant dans la forêt ?

Et il m’avait répondu, avec cette douce voix qui le caractérisait, et ce charmant froncement de sourcils qui d’ordinaire accompagnait sa voix :

— Ce que je ferais ? Je te flanquerais dans un cul de bassefosse, drôle !

La consolation que me donnait Montagnon à l’endroit de M. Deviolaine n’était donc rien moins qu’efficace.

Je rentrai, en conséquence, à la maison, l’oreille excessivement basse. J’embrassai ma mère plus affectueusement que de coutume, et je m’acheminai vers ma chambre.

— Où vas-tu ? me dit-elle.

— Faire mon thème, maman, lui répondis-je.

— Tu le feras après dîner. On va se mettre à table.

— Je n’ai pas faim.

— Comment, tu n’as pas faim ?

— Non : j’ai mangé une tartine de beurre chez Montagnon.

Ma mère me regarda avec étonnement ; madame Montagnon ne passait pas pour prodiguer les tartines.

Puis, se retournant vers une vieille amie à elle qui venait passer presque tout son temps chez nous, et que je criblais de niches :

— Ah çà ! mais est-ce qu’il est malade ? demanda-t-elle moitié riant, moitié inquiète.

— Soyez tranquille, répondit la vieille dame, le brigand aura fait quelque nouveau tour, et n’a probablement pas la conscience nette.

Oh ! chère madame Dupuis, que vous aviez une profonde connaissance du cœur humain en général et de mon cœur en particulier !