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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mais encore que c’était ma mère qui cherchait ce quelqu’un, et que ce quelqu’un, c’était moi.

Je ne pouvais charger ni Montagnon ni sa femme d’aller aux informations. Je venais chez eux tous les jours, mais ils venaient rarement chez nous. Leur apparition à l’un ou à l’autre eût donc semblé étrange, et eût certainement tout révélé. Je me tins donc coi et couvert, comme dit et comme fit Robinson, la première fois qu’il aperçut les sauvages débarqués dans son île.

Au bout d’un quart d’heure, M. Deviolaine sortit.

Il me sembla que sa figure était encore plus à l’orage qu’en entrant.

J’attendis la nuit, qui venait à cinq heures, et, la nuit venue, me faisant le plus invisible possible, je courus chez ma bonne amie madame Darcourt.

On se rappelle que, dans toutes les circonstances graves, c’était à elle que je recourais.

Cette fois encore, je lui exposai mon cas, lui avouait tout, et la priant d’aller chez ma mère, afin de s’informer de la gravité des choses.

La bonne et excellente femme m’aimait tant, qu’elle était à la disposition de mon moindre caprice. Elle courut à la maison ; je la suivis de loin par derrière ; quand elle fut entrée, je collai mon œil au coin du carreau.

Malheureusement, ma mère tournait le dos à la fenêtre, et je ne pouvais voir son visage ; mais je voyais les mouvements de son corps, et ils me paraissaient des plus menaçants.

Au bout d’un quart d’heure, madame Darcourt sortit, et, comme elle se doutait que je n’étais pas loin, elle m’appela. Je me fis appeler deux fois, et même trois ; mais, comme je crus saisir dans ce troisième appel une intonation assez rassurante, je me rapprochai.

— C’est donc toi, méchant enfant ? me dit ma mère.

— Voyons, ne le grondez pas, interrompit madame Darcourt ; il est assez tourmenté, allez.

— Et, Dieu merci, il y a de quoi, dit ma mère en secouant la tête de haut en bas.