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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/59

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’était un jour perdu, — un jour perdu ! quand il n’eût pas fallu perdre une seconde !

Cependant, vers dix heures du soir, on décida que M. le comte d’Artois partirait pour Lyon, et M. le duc de Bourbon pour la Vendée.

Le lendemain 6, les journaux se turent ; mais le télégraphe parla de nouveau.

Il annonçait que décidément Napoléon s’avançait sur Grenoble et sur Lyon, par Digne et Gap.

Ce fut alors seulement, à deux heures de l’après-midi, à peu près, qu’on décida la réunion des Chambres, et que l’on rédigea la proclamation et l’ordonnance que nous avons lues dans le Moniteur.

Villers-Cotterets était une ville plutôt royaliste que bonapartiste. — Le château qui, sous Louis XV et sous Louis XVI, avait été habité par le duc d’Orléans, par madame de Montesson et leur cour ; le château où Philippe-Égalité venait passer ses fréquents exils, et faire ses plus belles chasses ; la forêt, de laquelle vivent la moitié de la population ouvrière, qui y trouve de l’ouvrage, et les trois quarts de la population pauvre, qui en tire de la faine et du bois ; la forêt, qui fait partie des apanages de la maison d’Orléans, depuis le mariage de Philippe, frère du roi Louis XIV, avec madame Henriette ; le château et la forêt, disons-nous, avaient répandu dans la ville des traditions aristocratiques, qu’étaient bien loin d’avoir effacées la Révolution, qui avait mis des soldats, et l’Empire, qui avait mis des mendiants dans cette demeure des anciens princes.

La première impression que produisit cette nouvelle du débarquement de Napoléon au golfe Juan fut donc plutôt hostile que joyeuse.

Les femmes surtout se distinguaient par une bruyante effervescence, et par des menaces qui allaient jusqu’à l’imprécation.

Parmi ces femmes, il y en avait une plus ardente, plus animée que toutes les autres : c’était la femme d’un chapelier nommé Cornu.