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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/8

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de classes, il n’y avait plus de collège, il n’y avait plus d’abbé Grégoire.

Je me trompe : l’abbé Grégoire, au contraire, était là plus que jamais.

L’abbé Grégoire, c’était la sérénité et, par conséquent, la consolation. Il allait de maison en maison rassurant tout le monde, expliquant que le mal vient du mal, et que, si l’on ne faisait pas de mal à ces Cosaques tant redoutés, de leur côté ils n’en feraient pas.

D’ailleurs, leur intérêt était de ne pas trop faire les méchants. Une fois à Villers-Cotterets, ils se trouvaient au milieu d’une forêt immense, habitée par trente ou quarante gardes forestiers, qui en connaissaient les tours et les détours mieux qu’Osman ne connaissait ceux du sérail, et qui, à cent pas, étaient tous, un peu plus ou un peu moins, sûrs de mettre une balle dans un écu de six livres. C’étaient là des considérations fort appréciables, même pour des Cosaques.

En attendant, le temps passait ; on se battait à Mormant, à Montmirail, à Montereau ; on assurait même qu’à cette dernière bataille, Bonaparte, comme il l’avait dit lui-même, en se refaisant artilleur, avait sauvé Napoléon.

Soissons avait été repris par nous, le 19 février.

Il y avait cinq jours que le haricot de mouton était sur le feu. On n’attendait plus les Cosaques, de quelque temps, du moins. Nous mangeâmes le haricot de mouton.

On avait des nouvelles assez rassurantes. On parlait d’un armistice conclu avec l’empereur d’Autriche, par l’intermédiaire du prince de Lichtenstein. Napoléon était rentré à Troyes le 24, et avait destitué le préfet ; des conférences, enfin, avaient eu lieu à Largny pour une suspension d’armes.

Mais bientôt, la flamme se rallume à je ne sais quelle étincelle, et l’on apprend, coup sur coup, les combats de Bar-sur-Aube, de Meaux, et la reddition de la Fère.

L’ennemi se rapprochait de nous.

Ma mère se remit à un troisième haricot de mouton.

Tout à coup, au milieu d’une matinée brumeuse de février, le cri « Les Cosaques ! » retentit. On entend le galop de plu-