— Vous rappelez-vous avoir traversé une petite ville nommée Villers-Cotterets ?
— Avant ou après mon arrestation ?
— Après votre arrestation, général : vous étiez dans un cabriolet, assis entre deux gendarmes ; votre frère vous suivait dans un second cabriolet, et dans un troisième était un de vos aides de camp. Six ou huit gendarmes vous accompagnaient.
— Oh ! je me le rappelle parfaitement, à telles enseignes qu’une femme monta sur le marchepied de mon cabriolet, et me cracha au visage.
— C’est cela, général, et vous avez bonne mémoire.
— Ah çà ! est-ce que vous croyez qu’on oublie ces choses-là ?
— Non, général, je ne dis pas que ce sont de ces choses qu’on oublie… Me permettez-vous de vous demander encore si vous vous souvenez d’autre chose ?
— Faites.
— Vous souvenez-vous d’avoir passé la nuit en prison à Soissons ?
— Je m’en souviens parfaitement, dans une chambre attenante à la geôle.
— Vous souvenez-vous d’avoir reçu une visite ?
— Oui, celle d’un enfant de douze à quatorze ans.
— Qui venait vous offrir, de la part de vos amis…
— Cinquante louis et une paire de pistolets ! Je m’en souviens parfaitement.
— Vous oubliez de dire, général, que vous avez embrassé cet enfant au front.
— Pardieu ! cela le méritait bien. Est-ce que par hasard, cet enfant ?…
— C’est moi, général, un peu grandi, un peu vieilli depuis ce temps-là ; mais enfin, c’est moi. Voilà pourquoi je ne me suis pas fait présenter à vous, et me suis présenté moi-même.
Le général me prit les deux mains, et me regarda bien en face :
— Sacrebleu ! dit-il, embrassez moi encore !
— Volontiers, général.