Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Vous rappelez-vous avoir traversé une petite ville nommée Villers-Cotterets ?

— Avant ou après mon arrestation ?

— Après votre arrestation, général : vous étiez dans un cabriolet, assis entre deux gendarmes ; votre frère vous suivait dans un second cabriolet, et dans un troisième était un de vos aides de camp. Six ou huit gendarmes vous accompagnaient.

— Oh ! je me le rappelle parfaitement, à telles enseignes qu’une femme monta sur le marchepied de mon cabriolet, et me cracha au visage.

— C’est cela, général, et vous avez bonne mémoire.

— Ah çà ! est-ce que vous croyez qu’on oublie ces choses-là ?

— Non, général, je ne dis pas que ce sont de ces choses qu’on oublie… Me permettez-vous de vous demander encore si vous vous souvenez d’autre chose ?

— Faites.

— Vous souvenez-vous d’avoir passé la nuit en prison à Soissons ?

— Je m’en souviens parfaitement, dans une chambre attenante à la geôle.

— Vous souvenez-vous d’avoir reçu une visite ?

— Oui, celle d’un enfant de douze à quatorze ans.

— Qui venait vous offrir, de la part de vos amis…

— Cinquante louis et une paire de pistolets ! Je m’en souviens parfaitement.

— Vous oubliez de dire, général, que vous avez embrassé cet enfant au front.

— Pardieu ! cela le méritait bien. Est-ce que par hasard, cet enfant ?…

— C’est moi, général, un peu grandi, un peu vieilli depuis ce temps-là ; mais enfin, c’est moi. Voilà pourquoi je ne me suis pas fait présenter à vous, et me suis présenté moi-même.

Le général me prit les deux mains, et me regarda bien en face :

— Sacrebleu ! dit-il, embrassez moi encore !

— Volontiers, général.