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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/120

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Si je me le rappelle ! je le crois bien : le plus brave et le plus bel homme de l’armée ! C’est lui qui était moulé, mon cher ; quel modèle pour un peintre !

— Oui, c’est vrai, je me le rappelle parfaitement.

— Et qui vous amène à Paris, mon pauvre garçon ? Car, si j’ai bonne mémoire, vous demeuriez avec madame votre mère, dans je ne sais quel village.

— C’est vrai, général ; mais ma mère vieillit, et nous sommes pauvres.

— Deux, chansons dont je sais l’air, dit-il.

— Alors, continuai-je, je suis venu à Paris, dans l’espoir d’obtenir une petite place pour la nourrir à mon tour, comme elle m’a nourri jusqu’à présent…

— C’est bien fait ! Mais, mon pauvre enfant, une place si petite qu’elle soit, n’est pas chose facile à obtenir par le temps qui court, surtout pour le fils d’un général républicain. Ah ! si tu étais le fils d’un émigré ou d’un chouan ; si seulement ton pauvre père avait servi dans l’armée russe ou autrichienne, je ne dis pas ; tu aurais des chances.

— Diable ! général, vous m’effrayez ! Et moi qui avais compté sur votre protection.

— Hein ? fit-il.

Je répétai ma phrase mot pour mot, quoique avec un peu moins d’assurance.

— Ma protection !

Il sourit tristement et secoua la tête.

— Mon pauvre garçon, dit-il, si tu veux prendre des leçons de peinture, ma protection ira jusqu’à t’en donner, et encore, tu ne seras jamais un grand artiste, si tu ne surpasses pas ton maître. Ma protection ! Eh bien, je te suis reconnaissant de ce mot-là, parole d’honneur ! car il n’y a peut-être que toi au monde qui puisse aujourd’hui me la demander. Flatteur, va !

— Pardon, général, je ne comprends pas bien.

— Mais est-ce que ces gredins-là ne m’ont pas mis à la retraite, à propos de je ne sais quelle conspiration avec Dermoncourt ! De sorte que, vois-tu, je fais des tableaux ; et, si tu veux