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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/204

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah çà ! sérieusement, est-ce que tu te figures que c’est avec une éducation à trois francs par mois qu’on devient un Corneille, un Racine ou un Voltaire ?

— Si je devenais un de ces trois hommes, je deviendrais ce qu’un autre a été, et ce n’est pas la peine.

— Tu feras mieux qu’eux, alors, n’est-ce pas ?

— Je ferai autre chose.

— Est-ce que tu ne pourrais pas arriver assez près de moi pour que je t’envoie mon pied quelque part, malheureux ?

Je m’approchai.

— Me voici !

— Je crois qu’il s’approche, l’impudent coquin !

— Oui… ma mère m’a dit de vous embrasser pour elle.

— Elle se porte bien, ta pauvre mère ?

— J’espère, du moins.

— En voilà une sainte créature ! Comment diable as-tu pu être mis au monde par cette femme-là ? Allons, embrasse-moi, et va-t’en !

— Adieu, cousin.

Il m’arrêta par la main.

— As-tu besoin d’argent, drôle ?

— Merci… J’en ai.

— Où l’as-tu pris ?

— Je vous conterai cela un autre jour ; ce serait trop long, maintenant.

— Tu as raison ; je n’ai pas de temps à perdre. Fiche-moi le camp !

— Adieu, cousin.

— Viens dîner quand tu voudras à la maison.

— Ah ! oui, merci ! pour qu’on me fasse la mine chez vous.

— Pour qu’on te fasse la mine !… Je voudrais bien voir cela. Ma femme a assez longtemps mangé chez ton grand-père et chez ta grand’mère pour que tu viennes manger chez moi tant que tu voudras… Mais va-t’en donc, animal ! tu me fais perdre tout mon temps.

Le garçon de bureau de M. Deviolaine entra. On le nommait Féresse. Nous le retrouverons plus tard.