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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/206

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

caressent doucement l’oreille, et à l’accent desquelles il est impossible de ne pas se retourner en souriant.

Au reste, homme d’esprit, comme j’en ai peu vu ; d’instruction réelle ; chansonnier plein de verve ; ami intime de Désaugiers, de Théaulon, d’Armand Gouffé, de Brazier, de Rougemont, et de tous les vaudevillistes de l’époque ; enfin, se délassant du monde bureaucratique, qu’il avait en horreur, par le monde littéraire, qu’il adorait, et, du travail quotidien, par un travail capricieux qui consistait en articles au Drapeau blanc et à la Foudre, et en part de collaboration à quelques-uns des plus charmants vaudevilles des théâtres chantants. — C’était bien là le chef de bureau qu’il me fallait, on en conviendra, et je l’eusse demandé à Dieu, que, dans sa bonté pour moi, il ne me l’eût pas fait faire autrement.

Aussi, pendant cinq ans que nous restâmes dans le même bureau, jamais, entre Lassagne et moi, un nuage, une discussion, un ennui. Il me faisait aimer l’heure à laquelle j’arrivais, parce que je savais qu’il allait arriver un instant après moi ; il me faisait aimer le temps que je passais dans mon bureau, parce qu’il était là, toujours prêt à me donner une explication, à m’apprendre quelque chose de nouveau sur la vie, dans laquelle j’entrais à peine, sur le monde, que j’ignorais complètement, enfin sur la littérature étrangère ou nationale, qu’en 1823 je ne connaissais guère mieux l’une que l’autre.

Lassagne venait de me classer mon travail de la journée, travail tout machinal, qui consistait à copier, de la plus belle écriture possible, le plus grand nombre possible de lettres que, selon leur importance, devaient signer M. Oudard, M. de Broval ou même le duc d’Orléans.

Au milieu de cette correspondance qui parcourait toutes les branches de l’administration, et qui parfois, en s’adressant aux princes ou aux rois étrangers, passait de l’administration à la politique, se glissaient des rapports sur les affaires contentieuses de M. le duc d’Orléans ; car c’était M. le duc d’Orléans qui exposait lui-même ses affaires contentieuses à son conseil, faisant de sa personne l’office que font les avoués pour les avocats, c’est-à-dire préparant les dossiers.