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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/208

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

jeté à gauche, avec un gros nez rouge qui disait beaucoup, et de petits yeux gris qui ne disaient rien ; un type complet de courtisan, poli, obséquieux, caressant avec le maître, bon par boutades, mais généralement quinteux avec les inférieurs ; homme de petits détails, attachant une suprême importance à la manière dont une lettre était pliée ou dont un cachet était fait ; au reste, recevant ce genre d’inspiration du duc d’Orléans lui-même, homme de petits détails plus encore que M. de Broval peut-être.

M. de Broval lut la lettre, prit ma plume, ajouta, par-ci par-là, une apostrophe ou une virgule ; puis, la replaçant devant moi :

— Achevez, dit-il.

J’achevai.

Il attendait derrière moi, pesant littéralement sur mes épaules.

Chacune des figures que je voyais tour à tour faisait sur moi son effet. J’achevai d’une main assez tremblante.

— Voici, monsieur le chevalier ! lui dis-je.

— Bien, fit-il.

Il prit une plume, signa, passa du sable sur mon écriture et sur la sienne ; puis, me rendant l’épître, qui était pour un simple inspecteur, — car, du premier coup, on n’avait point osé confier au delà à ma main inexpérimentée ; — puis, dis-je, me rendant l’épître :

— Savez-vous plier une lettre ? me demanda-t-il.

Je le regardai avec étonnement.

— Je vous demande si vous savez plier une lettre. Répondez-moi !

— Mais oui… je crois, du moins, répondis-je étonné de la fixité qu’avait prise le petit œil gris.

— Vous croyez, voilà tout ! vous n’êtes pas sûr.

— Monsieur, je ne suis encore sûr de rien, vous le voyez, pas même de savoir plier une lettre.

— Et vous avez raison, car il y a dix façons de plier une lettre, selon la qualité de celui à qui on l’adresse. Pliez celle-là.