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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/250

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


C’était à l’heure qui dégage
Quelques infortunés des fers et des verrous ;
Et mon cœur s’étonnait d’écouter leur langage,
Où se mêlaient les pleurs, le rire et le courroux.

Tandis que leur gardien les menace ou les raille,
Une femme paraît, pâle et le front penché ;
Sa main tient l’ornement qui, les jours de bataille,
Brille au cou des guerriers sur l’épaule attaché,
Et de ses blonds cheveux s’échappe un brin de paille
À sa couche arraché,

En voyant sa jeunesse et le morne délire,
Qui doit, par la prison, la conduire au tombeau,
Je me sentis pleurer… Elle se prit à rire,
Et cria lentement : « Waterloo ! Waterloo ! »

« Quel malheur t’a donc fait ce malheur de la France ? »
Lui dis-je… Et son regard craintif
Où, sans voir la raison, je revis l’espérance,
S’unit pour m’appeler à son geste furtif.

« Français, parle plus bas, dit-elle. Oh ! tu m’alarmes !
Peut-être ces Anglais vont étouffer ta voix ;
Car c’est à Waterloo que, la première fois,
Adolphe m’écouta sans répondre à mes larmes.

» Lorsque, dans ton pays, la guerre s’allumait,
Il me quitta pour elle, en disant qu’il m’aimait ;
C’est là le seul adieu dont mon cœur se souvienne…
La gloire l’appelait, il a suivi sa loi ;
Et, comme son amour n’était pas tout pour moi,
Il servit sa patrie, et j’oubliai la mienne !

» Et, quand je voulus le chercher,
Pour le voir, dans le sang il me fallut marcher ;
J’entendais de longs cris de douleur et d’alarmes ;
La lune se leva sur ce morne tableau ;