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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/271

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

du Marais à la police — sans pouvoir arriver à obtenir l’autorisation de faire jouer sa pièce.

Enfin, grâce à l’intervention de la reine et du comte d’Artois, la Folle Journée, tirée intacte des griffes de ces messieurs, fut jouée le 27 avril 1784.

M. Suard était rancunier tout à la fois comme un censeur et comme un journaliste ; de sorte que, voyant la censure des ciseaux qui lui échappait, il en appela à la censure de la plume. M. Suard était des familiers du comte de Provence, et M. Suard servait au comte de Provence de paravent, lorsque Son Altesse royale voulait se livrer incognito à quelque petite vengeance littéraire.

M. le comte de Provence détestait Beaumarchais presque autant que le faisait M. Suard lui-même ; il en résultait que, par le canal de M. Suard, le comte de Provence s’en donnait à cœur joie, dans le Journal de Paris, contre ce pauvre Mariage de Figaro, qui continuait le cours de ses succès, malgré les articles signés de M. Suard ou les articles anonymes de Son Altesse royale.

Sur ces entrefaites, Beaumarchais abandonna aux pauvres mères nourrices les droits d’auteur que lui avait rapportés le Mariage de Figaro, c’est-à-dire une somme qui pouvait monter à trente ou quarante mille francs.

Monsieur, qui ne devait pas avoir d’enfant, — un autre chroniqueur moins parlementaire que moi, dirait : qui ne pouvait pas avoir d’enfant, — et qui, par conséquent, vu sa complète impuissance, n’avait pas une grande sympathie pour les mères nourrices, Monsieur se donna le plaisir, toujours sous le voile de l’anonyme, d’attaquer l’homme, après avoir attaqué la pièce, et d’écrire contre lui, dans le Journal de Paris, une lettre pleine d’amertume et de fiel. Beaumarchais, qui connaissait la meurtrière pour y avoir vu passer le bout de l’escopette de M. Suard, crut encore avoir affaire à lui, et sangla le pédant d’importance. Par malheur, c’était Son Altesse royale qui avait reçu les étrivières sur le dos du censeur. Il en résulta que Monsieur, tout endolori de la riposte, s’en alla conter ses peines à Louis XVI, lui donnant à entendre que